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d’une assistance qui, pareille au peuple romain, ne demande qu’à être nourrie et amusée.

Des fêtes auxquelles il nous fut donné d’assister pendant notre séjour à Sarayacu, celle de Noël et l’aubade de la veille du jour de l’an, nous parurent les plus remarquables. Les ethnographes et les simples curieux nous sauront gré peut-être de leur donner de ces solennités une description à la fois fidèle et succincte.

Dès le matin du jour de Navidad (Noël) une agitation extraordinaire se manifesta dans la Mission. Les néophytes des deux sexes allaient et venaient, occupés des divers apprêts de la fête. Les préparateurs du feu d’artifice à qui le prieur avait remis dès la veille, le charbon pilé, le soufre et le salpêtre nécessaires à la composition de la poudre, avaient passé la nuit à préparer des bombes et des soleils qui éclatèrent à midi précis selon la coutume ando-péruvienne et servirent d’avant propos à la fête.

La cérémonie ne commença qu’à neuf heures du soir. Au branle de la cloche, une femme désignée pour remplir les fonctions de reine de Noël, entra dans l’église accompagnée de deux filles d’honneur et alla s’agenouiller devant la balustrade du sanctuaire, où l’attendait le révérend Plaza, entouré de vieux néophytes habillés en enfants de chœur et portant la croix et la bannière. La reine de Noël avait le visage bariolé de noir et de rouge. Un diadème de plumes de perroquet ornait son chef surmonté d’un immense peigne d’écaille. Des mouchoirs de cotonnade aux vives nuances, disposés en écharpe, rehaussaient la simplicité de son costume habituel. Les filles d’honneur barbouillées de rocou et de genipa à l’exemple de leur maîtresse, portaient dans la paume de leur main droite une écuelle en terre, où trempait dans de l’huile de lamantin une mèche allumée.

Le moulin à cames à sucre de Sarayacu.

Après que la reine, toujours agenouillée, eut satisfait aux quatre premières questions du catéchisme qui lui furent adressées en quechua par le prieur, celui-ci lui remit une petite corbeille matelassée dans laquelle était couché un enfant-Jésus qu’elles embrassa dévotement : alors, se relevant et portant à deux mains son léger fardeau, Sa Majesté sortit de l’église et suivie de ses porte-mèches, alla de maison en maison présenter le nouveau-né à l’adoration des fidèles. Une escouade d’hommes et de femmes munis de torches, les escortaient à travers le village.

La reine Christophore mit plus d’une heure à faire sa tournée. Quand elle reparut au seuil de l’église, sa démarche était titubante, son peigne de travers et ses yeux hébétés. Ses filles d’honneur, vierges folles, avaient répandu l’huile de leur lampion dont les mèches s’étaient éteintes. À mes questions sur l’état dans lequel