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ne fait jamais que des cochons) ; et, dans son impartialité, il avait envoyé à M. Delmonte la requête des Banians, qui concluaient à ce que les chiens fussent enfermés ou abattus. M. Delmonte répondit qu’ils étaient parfaitement libres de canarder ses chiens s’ils les trouvaient en flagrant délit d’outrager à leur culte, et les pria de le laisser tranquille.

La colonie européenne n’a jamais été bien nombreuse à Massaoua : elle se compose habituellement d’un agent consulaire européen (rarement de deux), d’un ou deux commerçants et de quelques missionnaires. De ces derniers je veux dire quelques mots.

Les premiers qui s’établirent dans cet endroit furent des capucins, modestement installés à Monkoullo, dans une maison où ils eurent toutes les peines du monde à être autorisés à s’établir. L’autorité turque, fort souple en Europe à l’endroit de nos nationaux, était sur cette extrême frontière d’une insolence sans égale. L’Ordre, qui connaissait son monde, eut le bon esprit de lancer sur ces gouverneurs ivrognes et mal appris un capucin piémontais bien connu dans toute la mer Rouge, le P. Giuseppe S…, né pour être acteur comique au Palais-Royal, bien plutôt qu’apôtre en Nubie, sorte de Figaro en sandales, dont la gaieté intarissable, très-souvent triviale, cachait un grand savoir (il l’a prouvé par un bon livre sur l’Abyssinie) et un courage pétulant. Souvent tracassé par le gouverneur turc, il finit par le dompter : une fois il le provoqua en duel, au sabre, à la pointe Gherar ; une autre fois il parla de le jeter par la croisée du divan et de se proclamer kaïmakan à sa place. Il eut une inspiration moins heureuse le jour que séduit, comme le pauvre Lefèvre, par la brillante perspective d’affaires qu’offrait l’Abyssinie, il jeta le froc aux orties et créa une maison de commerce à Massaoua. La société Saint-François-d’Assise et compagnie eut une liquidation désastreuse, et le P. Giuseppe se rendit à Florence où il rédige, m’a-t-on dit, un journal libéral. Si ces lignes lui tombent sous les yeux, qu’il me pardonne quelques plaisanteries assez inoffensives.

Faki. — Dessin de Émile Bayard d’après M. G. Lejean.

Une figure moins mondaine est celle d’un capucin de la même mission, M. Malcotti, en religion fra Pasquale da Duno. Chargé de la gérance du vice-consulat de France en l’absence du titulaire, M. Deleye, il a laissé chez ses administrés, avec le souvenir d’un excellent et aimable homme, toute une légende de naïvetés bureaucratiques. Ayant un jour à rédiger un procès verbal où il comparaissait comme témoin, il libella ainsi : « Devant nous soussigné, gérant le vice-consulat de France à Massaoua, est comparu le F. Pasquale da Duno, capucin, etc… » L’acte signé : Malcuit (pour Malcotti). Le digne homme croyait du meilleur ton de tout franciser quand il parlait ou qu’il écrivait à des Français.

Après les capucins vinrent les lazaristes, quand, expulsés d’Abyssinie en 1855, ils se fixèrent définitivement à Massaoua, sous la direction de l’illustre prélat Mgr de Jacobis. Sous son successeur, Mgr Biancheri (mort le 17 Septembre 1864), la mission, définitivement installée à Massaoua, s’y construisit à la pointe est (ras Mider), à l’opposite de la cité, une vaste habitation et une église, auxquelles s’ajouta, en 1864, une imprimerie pour les livres abyssins. Cette mission est actuellement gérée par le P. Ch. Delmonte, Génois, administrateur capable et intelligent, qui est probablement appelé à succéder au titre de Mgr Biancheri.


XVII.

Climat de Massaoua. — Mon buen retiro. — M. Barroni : sa lutte énergique contre la traite des esclaves. — Du goudron français.

Bruce, qui passa à Massaoua pour entrer en Abyssinie, et qui y éprouva de la part des Naïbs des tracas-