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« Ce que les sauterelles avaient laissé, les petits oiseaux l’ont mangé, » signifie : Un malheur n’arrive presque jamais seul.

« C’est le crieur même qui a perdu son âne, » signifie que souvent on ne sait pas faire pour soi-même ce qu’on a fait pour les autres.

« Il n’a pas de pain à manger et il cherche une épouse, » signifie : Ne soyez pas trop ambitieux, lorsque vous n’avez que de petits moyens.


Les quartiers. — Les monuments. — La résidence du bey. Les maisons.

On a prodigué à Tunis les louanges et quelquefois aussi les injures. Les anciens l’appelaient simplement Tunis la blanche[1]. Les Arabes l’ont surnommée tour à tour « la glorieuse », « la véritable », « la florissante », « l’industrieuse », « la bien gardée » et « le séjour de la félicité ». Le docteur Louis Franck, qui avait été médecin du bey Hamoudab, proposait de substituer à toutes ces épithètes celle de « la fétide » (fassedéh).

On a comparé sa forme à celle d’un burnous étendu sur un plan incliné. La Kasbah figure le capuchon. Ce sont les musulmans qui habitent la ville haute. Les quartiers des Francs, des Maltais, des Italiens et des Juifs sont situés dans la ville basse et dans les faubourgs.

L’enceinte de la cité proprement dite, est crénelée et percée de cinq portes. Les deux faubourgs sont également entourés de murs. On donne au pourtour entier de Tunis une étendue de huit kilomètres.

M. Dunant ne paraît pas éloigné d’admettre que le chiffre de la population de Tunis est d’environ 150 000. M. Pelissier, dans son Histoire de la Régence de Tunis, ne compte que 70 000 habitants. M. Victor Guérin, qui a visité récemment la Tunisie, relève le chiffre à 90 000 qu’il répartit de la manière suivante : 60 000 musulmans, 2 0000 juifs, 10 000 chrétiens.

Ces dix mille chrétiens lui paraissent devoir se subdiviser ainsi : 5 000 Maltais, 3 000 Italiens, 500 Grecs, 1 500 Français, Espagnols, Allemands ou Anglais. Les Français seuls sont au nombre de plus de huit cents.

Parmi les monuments qui méritent une mention particulière, on doit placer au premier rang le palais du bey, dar-el-bey, l’hôtel de la municipalité et la Kasbah.

Le dar-el-bey, qui extérieurement n’a rien de remarquable, est décoré à l’intérieur avec un grand luxe et dans le goût mauresque. C’est là que logent les étrangers illustres. Le bey a sa résidence ordinaire à trois lieues de Tunis, au bord de la mer, à la Marsa[2]. Le siége officiel du gouvernement est le Bardo, vaste château flanqué de tours et de bastions, situé à deux kilomètres de Tunis, au nord-ouest. L’école polytechnique, les prisons d’État, toute une garnison sont comprises dans l’enceinte de cette forteresse où l’on trouve aussi une rue de boutiques.

Entre la ville et le Bardo s’étend un lac, le sebkat-ès-seldjouny, qui est presque à sec pendant les grandes chaleurs.

Dans le palais de la Marsa, on admire surtout une grande galerie à vitres de couleur dont le plafond est orné de belles arabesques. Les princesses sont servies, dit-on, par près de mille femmes, Grecques, Géorgiennes, Circassiennes et négresses. Dans les cours, on voit errer des gazelles et des oiseaux rares. Dans les jardins les tons rouges des géraniums qui ont la proportion de grands arbustes contraste avec les fruits d’or des orangers.

Mais rentrons à Tunis. Plusieurs heures avant le coucher du soleil, toutes les boutiques sont fermées, tous les bruits cessent dès qu’il fait nuit sombre, on s’enferme dans les maisons. Il ne passe plus guère dans les rues que quelques étrangers qui se font précéder de lanternes.

Les maisons sont rarement de plus d’un étage ; elles ont toute la même forme, qui est très-élémentaire : un bloc carré, au milieu duquel est une cour. Tous les appartements sont disposés autour de cette cour, el pateo, ou une tente protége les habitants contre le soleil. Un escalier monte de la galerie à la terrasse.

En été, on se réunit tous les soirs sur les terrasses pour y jouir du vaste et pur spectacle du ciel étoilé. On y prend son café, on y fume. De temps en temps j’entendais, de celle de mon hôte, des sons lointains qui venaient se perdre vaguement dans les airs. Parfois je croyais saisir une mélodie. Ce n’était qu’un petit pâtre qui descendait en ce moment la montagne ; son troupeau de moutons marchait devant lui, un seul chien faisait observer la consigne, tandis que lui, l’enfant du désert, nonchalamment assis sur son dromadaire, jouait sur ses deux pipeaux quelque chanson que lui avaient apprise les vieux bergers.

Presque toutes les maisons ont des citernes où viennent s’amasser les eaux de la pluie. On ne consomme guère que de celles-là.


Les villas.

À Tunis, pendant les grandes chaleurs de juin, juillet, août, le thermomètre marque à l’ombre de 24 à 30 degrés.

Alors les habitants qui ont quelque aisance se retirent à la campagne où ils trouvent la fraîcheur dans des jardins immenses, sous des bosquets touffus de lentisques, de jasmins, de grenadiers et d’orangers. Ce plaisir, quelquefois, il faut le payer cher. Les chemins ne sont pas très-sûrs ; aussi rarement arrive-t-il que l’on rentre de la ville le soir. Il faut avoir soin de bien se barricader pendant la nuit. On a toujours des armes à la portée de la main.

À l’aide de la noria[3], on arrose abondamment les arbustes et les fleurs. Aucune image ne saurait donner une idée du calme profond de ces délicieuses oasis ; quelquefois j’ai passé des heures entières sous les om-

  1. Diodore de Sicile, 1.
  2. El-mersa, ancrage, rade, port.
  3. Machine à puiser l’eau.