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leur fit prendre la fuite comme un troupeau de cabris. Mais elles revinrent bientôt, et je fus obligé de renouveler plusieurs fois l’expérience au grand amusement de la tribu entière.

Vers le soir, de nombreux coups de fusil et les chants joyeux des bateliers canadiens, nous annoncèrent l’arrivée du bateau qui venait nous délivrer. L’équipage se composait de six vigoureux Canadiens au teint bruni par le soleil et aux longs cheveux tombant sur les épaules.

Après plusieurs tentatives infructueuses, nous réussîmes enfin à faire entrer nos mulets dans le fleuve. Excités par nos cris aigus, par les cailloux que nous leur jetions et par de nombreux coups de fusil tirés au-dessus de leur tête, ils se laissèrent emporter par le courant, tandis que nous les suivions en bateau et les dirigions à coups de rames.

Deux heures après nous atteignîmes le fort Union où nous trouvâmes notre pauvre métis couché avec une fièvre brûlante, et vraiment méconnaissable : sa figure n’était qu’une masse de piqûres de moustiques envenimées et ses paupières étaient enflées au point qu’il ne pouvait ouvrir les yeux. Après avoir traversé la rivière de la Roche jaune, il s’était engagé dans un marais où il enfonçait jusqu’aux épaules au milieu des joncs et de hautes herbes qui s’entortillaient à ses jambes et l’arrêtaient souvent. Enfin il s’en arracha à la nuit, mais poursuivi par une nombreuse bande de loups, il n’eut que le temps de grimper dans les branches d’un saule où il resta accroché jusqu’au jour, à quelques pouces seulement de ses ennemis affamés dont les yeux brillaient dans l’obscurité comme autant de lumières. Le lendemain il traversa le Missouri à la nage, mais tellement épuisé qu’il eut les plus grandes peines à gagner le fort.

Fort-Union, sur le Missouri.

Le fort Union, quadrilatère en bois d’environ soixante quinze mètres de côté, est situé sur la rive gauche du Missouri, en amont du confluent de la Pierre jaune, au milieu d’une charmante prairie, fermée à l’est par des mauvaises terres semblables à celles de la rivière Blanche, mais d’une étendue beaucoup moins considérable.

Les collines sont ici formées de pierres molles, recouvertes de terre et d’argile brûlées. Leur couleur rouge leur donne de loin l’apparence de monuments de briques en ruine. On y trouve aussi des couches d’une sorte d’ardoise qui semble avoir été exposée au feu.

E. de Girardin.