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les filles des chefs se tenaient accroupies et dévoraient avec avidité les restes du banquet, auquel l’étiquette ne leur permettait pas d’assister.

Un Indien vêtu d’un riche costume, se jette aux pieds de l’agent : « Qui es-tu, toi qui représentes ici le père des hommes blancs, des hommes rouges et des hommes noirs ? Es-tu un esprit surnaturel, es-tu un Dieu ?… Parle, dis-moi qui tu es ? Pour moi, je ne suis qu’un pauvre Indien, mais mon cœur est grand ; prends ma chemise de peau de daim, tu l’offriras à notre grand père. »

Alors il quitte son vêtement et l’offre à l’agent, qui lui présente en échange une chemise de laine rouge et une tunique à épaulettes d’or. Enfin, après quatre heures de pourparlers, après avoir écouté de nombreux orateurs et fumé d’innombrables calumets, une espèce de hérault d’armes fait une harangue, annonce que le conseil est terminé, et engage chacun à retourner chez soi.

Le conseil s’était mal terminé pour nous ; les Indiens nous avaient refusé la permission de passer sur leurs terres pour gagner le territoire des Pieds-Noirs, dont les jeunes guerriers étaient exaspérés et nous massacreraient sans doute, etc. ; ils nous invitaient donc à retourner dans le pays des blancs. Tout ceci était peu rassurant, mais nous étions trop avancés pour reculer, et en attendant que nos préparatifs fussent terminés, le temps se passa gaiement à flâner dans le camp indien et à emballer les pétrifications que nous avions rapportées des mauvaises terres.

Le Fou. — Guide indien.

Je fus invité à un festin de chien ; refuser eût été très-impoli, et, d’ailleurs, je tenais à goûter à cette viande si recherchée dans le pays. Notre vieux guide la Corne-d’élan, qui donnait la fête, me fit asseoir sur une peau d’ours et plaça devant moi, sur un morceau de parflèche[1] en guise d’assiette, une côte de chien sauvage que je trouvai délicieuse. La viande en était tendre et grasse comme une côtelette de mouton. Une queue de castor et du pemmican[2] complétaient le festin[3].

Les Indiens n’ayant pas de traditions écrites, se servent de peintures hiéroglyphiques pour transmettre leurs faits d’armes à la postérité.

Les jeunes guerriers qui se sont le plus distingués se réunissent autour d’une peau de bison soigneusement tannée et d’une grande blancheur, et chacun reproduit à son tour ses prouesses au moyen de grossières peintures plus ou moins véridiques. Il va sans dire que l’artiste se représente toujours sous les traits d’un brillant cavalier et se donne le beau rôle, tandis que ses ennemis, les Pawnies et les Corbeaux, fuient ignominieusement. Un coin du tableau, reproduit page 58, représente un guerrier, qui après avoir tué sa femme fait la paix avec le beau-père et fume le calumet de la paix.


V


Départ du fort Pierre pour les montagnes Rocheuses.

Le pays que nous avons à traverser étant parcouru en tous sens par les partis de guerre des tribus ennemies, nous avons mille difficultés à nous procurer un guide ; enfin un des nombreux beaux-frères du gouverneur se décide à nous accompagner. C’est un grand chasseur de chevelures, fort versé dans l’art de voler les

  1. Cuir de bison très-dur et dont les Indiens font des boucliers.
  2. Viande de bison, d’abord coupée par tranches et séchée au soleil. On la pile ensuite, puis on y mêle de la graisse de bison et un petit fruit rouge qui ressemble à la groseille ; enfin on l’enferme dans des sacs de cuir et on la conserve pour l’hiver.
  3. Les Indiens croient faire une grande politesse à un invité en lui passant leurs restes, — que celui-ci se trouve obligé de manger séance tenante, ou d’emporter avec lui.

    À la fin d’un repas, ayant la bouche remplie de wiskhey, en faire passer le contenu dans la bouche de son voisin est le nec plus ultra de la politesse et du savoir-vivre parmi les Sioux.