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tâcha, mais en vain, de retenir avec ses bras le plafond croulant sur elle. Elle périt broyée ; on n’a pas retrouvé sa tête.

Dans la rue des tombeaux, une foule épaisse dut se rencontrer : les uns venant de la campagne pour se réfugier dans la ville, les autres fuyant les maisons incendiées pour chercher leur salut sous le ciel ouvert. Un des premiers tomba en avant, les pieds tournés vers la porte d’Herculanum ; un autre sur le dos, les bras levés : il portait à la main cent vingt-sept monnaies d’argent et soixante-neuf pièces d’or. Un autre, également sur le dos, — fait étrange ! — ils moururent en regardant le Vésuve. Une femme, tenant un enfant dans ses bras, s’était abritée dans une tombe que l’éruption mura sur elle ; un soldat, fidèle au devoir, était resté debout à son poste devant la porte d’Herculanum, une main sur sa bouche, l’autre sur sa lance : il périt ainsi bravement. La famille de Diomède s’était réunie dans la cave où dix-sept victimes, des femmes, des enfants et la jeune fille dont le sein s’incrusta dans la cendre, furent ensevelies vivantes, serrées les unes contre les autres, tuées violemment par le manque d’air, ou peut-être lentement par la faim ! Arrius Diomède s’était sauvé, seul, abandonnant sa maison et n’emmenant avec lui qu’un esclave qui portait sa bourse : il tomba foudroyé devant son jardin. Que de malheureux encore dont nous savons la dernière heure : le prêtre d’Isis, qui, enveloppé par les flammes et ne pouvant se sauver dans la rue incendiée, perça deux murs avec sa hache, et devant le troisième, exténué sans doute ou terrassé par le déluge, jeta son dernier râle en tenant toujours sa hache à la main. Et ces pauvres bêtes attachées, qui ne purent échapper : le mulet de la boulangerie, les chevaux de l’auberge d’Albiuus, la chèvre de Siricus qui alla se blottir dans le four de la cuisine où on l’a retrouvée récemment sa clochette au cou ? Et les prisonniers de la caserne des gladiateurs, rivés au râtelier de fer qui leur étreignait les jambes !

Lampes de terre et de bronze trouvées à Pompéi. — Dessin de H. Catenacci.

Quelle nuit terrible et quel lendemain ! « Le jour est venu, mais les ténèbres demeurent : non celles d’une nuit sans lune, mais celles d’une chambre fermée et sans flambeau. À Misène, où était Pline le Jeune qui a décrit la catastrophe, on n’entendait que des voix d’enfants, d’hommes et de femmes s’appelant, se cherchant, ne se reconnaissant qu’à la voix, invoquant la mort, éclatant en pleurs ou en cris d’angoisse, et croyant que c’était l’éternelle nuit où les hommes et les dieux allaient s’anéantir. Puis tomba une pluie de cendres si épaisse, qu’à sept lieues du volcan il fallait se secouer sans relâche pour n’en être pas étouffé. Cette cendre alla, dit-on, jusqu’en Afrique, et, en tout cas, jusqu’à Rome où elle remplit l’air et cacha le jour si bien que les Romains étaient à se dire : « C’est le monde qui se retourne ; le Soleil va tomber sur la terre pour s’y éteindre, ou la terre monter au ciel pour s’y embraser. » Enfin, écrit Pline, « la lumière revint peu à peu, l’astre qui la répand reparut, mais pâle comme dans une éclipse. Tout était changé autour de nous ; la cendre, comme une neige épaisse, avait tout couvert. »

On n’a soulevé qu’au siècle dernier ce linceul immense, et on a déjà relevé six cents squelettes, dont chacun rapporte un poignant épisode de la catastrophe immense où ils furent foudroyés !

L’an dernier, dans une petite rue, sous des tas de débris, les ouvriers des fouilles aperçurent un espace vide au fond duquel apparaissaient des ossements. Ils appelèrent aussitôt M. Fiorelli, qui eut une idée lumineuse. Il fit délayer du plâtre qu’on versa aussitôt dans le creux, et la même opération fut renouvelée sur d’autres points où l’on avait cru voir des ossements semblables. Après quoi l’on enleva soigneusement la croûte de pierres ponces et cendre durcie qui avait enveloppé, comme dans