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mes parlent très-bas, sans lever les yeux : je les entends à peine. Comment se fait-il que l’adolescent devine que c’est de lui qu’elles parlent ? Il rougit et, distrait, verse sa théière sur une tranche de jambom. Il est vrai que, tout en se servant, il paraît étudier l’Iliade : serait-ce le grec qui vermillione ainsi son visage ? Est-ce Hélène qui passe ?




Quelques heures après, en montant une rue, je vois voleter vers moi une feuille de papier : je la relève : c’est l’esquisse à larges traits de la maison d’Albert Durer. Le jeune Anglais vient à ma rencontre, un pliant d’une main, un crayon de l’autre. Je le félicite en lui rendant son dessin, et nous nous arrêtons devant la maison du premier des peintres de la Germanie : elle est grande, mais très-modeste de matière et d’art. Le jeune homme juge utile, par retour de politesse sans doute, de m’apprendre que cette maison appartient à la ville, qu’une société d’art s’y réunit et qu’on y fait des expositions de peintures. Mon silence l’encourage à ajouter qu’Albert Durer n’était pas seulement un très-grand peintre, mais qu’il dessinait et gravait admirablement sur bois, sur cuivre, sur fer, sur étain, en camayeu et à l’eau, forte, qu’il a fait des œuvres d’orfévrerie, qu’il a sculpté même le bois et la pierre à rasoir, et de plus qu’étant ingénieur, comme Léonard de Vinci et Michel-Ange, il a restauré et complété les fortifications de Nuremberg. Il regrette que les Nurembergeois n’aient que très-peu de peintures d’Albert Durer, un très-beau portrait conservé par la famille Holzstucher, et quelques tableaux de médiocre importance dans les églises et les musées. À son avis, Munich devrait leur faire don des quatre évangélistes de sa Pinacothèque, ce qui ne laisserait pas un grand vide dans une si vaste collection, et serait un bon procédé de sœur riche. Il termine ce petit discours, bien fait et assez bien prononcé en français, par quelques réflexions philosophiques sur la triste loi de compensation qui fit expier à Albert Durer son génie, sa gloire et sa fortune en lui donnant une méchante femme, une Xantippe. Et, ce disant, il sourit en montrant ses belles dents blanches.

La maison d’Albert Durer. — La statue du chevalier Martin Koetzel. — Dessin de Thérond d’après une photographie.

Je remercie le jeune fils d’Albion. Dans cinq ou six ans, il ne sera peut-être plus aussi aimable. Je ne relève de tout ce qu’il m’a dit que trois points : Il n’est