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dernier plan, s’enfonce le triclinium. Le mot signifie triple lit : trois lits, en effet, disposés en fer à cheval, meublaient cette pièce, qui servait de salle à manger.

À droite du péristyle, au premier plan, glisse un corridor fuyant vers une porte de dégagement qui donne dans une petite rue : c’était le porticum par où le maître échappait aux fâcheux qui remplissaient l’atrium.

Le côté gauche du péristyle était occupé par trois chambres à coucher et par la cuisine qui se cachait au fond, à gauche de l’œcus. Cette cuisine, comme la plupart des autres, montre ses fourneaux encore debout ; ils contenaient de la cendre et même du charbon quand on les a découverts, sans compter les ustensiles en terre cuite et en bronze. Un cabinet voisin servait d’office : on y a trouvé une grande table et des jarres d’huile rangées sur un banc.

Ustensiles de cuisine en bronze découverts à Pompei. — Dessin de H. Catenacci.

Je n’ai fait qu’esquisser à grands traits le plan de la maison. Voulez-vous la remeubler ? Pillez le musée de Naples qui l’a dépouillée. Vous trouverez dans la collection des bronzes assez de lits pour les cubicula, assez de bancs sculptés, de tables, de consoles, de vases précieux pour l’œcus, l’exèdre et les ailes, assez de lampes à suspendre, assez de candélabres à poser dans les salons. Étendez des tapis sur les pavés précieux en mosaïque et même sur le simple opus signinum (mélange de chaux et de briques broyées) qui couvrait d’une croûte solide le plancher des chambres sans prétention. Replacez avant tout les plafonds et les toits, puis les portes et les draperies ; ravivez enfin sur tous les murs des plus humbles Pompéiens comme des plus glorieux, les claires et vives peintures maintenant effacées. Quelle lumière et quelle joie ! Comme toutes ces couleurs franches, éclatent au soleil, qui, du ciel libre, descend à flots dans le péristyle et dans l’atrium ! Mais ce n’est pas tout, il faut évoquer les morts : accourez donc, jeunes Pompéiens du premier siècle ! Je demande Pansa, Paratus, leurs femmes, leurs enfants, leurs esclaves : l’ostiarius qui gardait la porte, l’atriensis qui administrait l’atrium, le scoparius armé de son balai de bouleau, les cubicularii qui étaient les valets de chambre ; le pédagogue, mon confrère, esclave comme les autres, bien qu’il soit maître absolu dans la bibliothèque, où seul peut-être il comprend les secrets des papyrus. Je cours à la cuisine ; je veux la voir telle qu’elle était autrefois : le carnarium, muni de crocs et de clous pour les provisions de bouche est suspendu au plafond ; les fourneaux sont garnis de casseroles et de chaudrons ciselés, de grands seaux de bronze aux anses luxueuses sont rangés à terre : les murs sont couverts d’ustensiles luisants : cuillers aux longs manches recourbés en cols et en têtes de cygne, poêlons et poêles, la broche et son chenet, les grils, les moules à pâtisserie, le moule à poissons (formella), qui n’est pas le moins curieux, l’apalare, la trua, cuillères plates et percées de trous, soit pour frire les œufs, soit pour écumer les liquides ; enfin les entonnoirs, les passoires, les couloirs, le colum vinarium, qu’on couvrait de neige, sur laquelle on versait le vin qui s’égouttait rafraîchi dans les coupes : autant d’objets précieux conserves par le Vésuve et qui montrent jusqu’où l’art et l’élégance allaient se nicher, comme eût dit Molière, chez les Romains de l’ancien temps.

Marc Monnier.

(La fin à la prochaine livraison.)