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cessaient de tambouriner, de présenter les armes et de faire feu sans rime ni raison. Quand nous fûmes arrivés à ces huttes, pareilles de tout point aux habitations indigènes, Mohamed nous fit asseoir sur deux lits et ses femmes vinrent nous offrir à genoux des tasses de café, tandis que d’autres serviteurs, apportant le pombé, nous préparaient un dîner dont le pain, le mouton rôti et le miel constituaient les principaux éléments.

On vida pour nous un vaste hangar, et lorsque j’y fus installé avec Grant, nos hommes reçurent ordre de se répartir comme ils voudraient dans les divers taudis ou gisaient déjà les soldats de Mohamed. Quant à ce dernier, il semblait, depuis que nous étions là, regarder sa mission comme accomplie.

« S’il en est ainsi, lui dis-je, veuillez me faire connaître les ordres que vous avez reçus. On a dû également vous laisser quelques lettres.

— Non, me répondit-il, je n’ai ni lettres, ni ordres écrits ; on m’a simplement recommandé de vous conduire à Gondokoro, dès que vous seriez arrivé. Je suis le vakil de Debono, et il me tardait bien de vous voir ici, car il y a longtemps que nous vous attendons. Nous avons employé à nous procurer de l’ivoire les loisirs que vos retards nous ont faits.

— Comment dois-je m’expliquer, repris-je, que Pétherick ne soit pas venu en personne à notre rencontre. … Et l’arbre sur l’écorce duquel Bombay m’a dit que vous nous montreriez le nom de Pétherick ?

— Vous le verrez chemin faisant. Au surplus, ce n’est pas Pétherick qui a écrit le nom, c’est une autre personne, la même qui m’a chargé de guetter votre arrivée dans ces parages. Nous ne connaissions pas ce nom, mais elle nous a garanti qu’en vous le montrant, vous sauriez de suite ce dont il est question. »

Après avoir complimenté Mohamed, je demandai à repartir le lendemain ; mais, sans oser me regarder au visage et revenant effrontément sur ses promesses, il me déclara qu’il ne pourrait me laisser partir sans lui, attendu le blâme qu’il encourrait s’il m’arrivait quelque mésaventure. Il s’étonnait, au reste, de ma précipitation, et après être resté si longtemps chez Kamrasi, je pouvais bien, disait-il, lui accorder quelques jours.

Ces quelques jours se prolongèrent jusqu’au 11 janvier. Les ajournements de Mohamed ayant épuisé ma patience, j’ai pris les devants, à son grand désespoir, en lui laissant un délai de vingt-quatre heures pour venir me rejoindre à la prochaine station.

Le 13 janvier nous conduisit à Paira, groupe de villages, situé en vue du Nil. Il s’offrait maintenant à nos yeux déroulant ses eaux majestueuses sur un lit à peine creusé, dans la direction de l’ouest à l’est ; immédiatement au-delà du fleuve, les gibels ou montagnes de Kukou se dressaient à deux mille pieds au-dessus de ses eaux. Le lendemain seulement, et lorsque, marchant parallèlement au Nil, nous fûmes arrivés à Jaifi, nous pûmes embrasser dans son ensemble, cet imposant et vaste panorama.

Le Nil et les montagnes de Kukou. — Dessin de A. de Bar.

Apuddo. — Je n’ai pas manqué, aussitôt après notre installation, de me faire montrer l’arbre sur lequel Mohamed avait attiré mon attention. Deux signes, qui rappelaient assez vaguement la forme d’un M et d’un J, se voyaient effectivement sur son écorce, mais le travail de la végétation les avait rendus à peu près méconnaissables. En me dépeignant l’individu qui les avait tracés, les Turcs me dirent qu’il me ressemblait beaucoup et portait une barbe aussi longue que la mienne. Il était venu de Gondokoro, il y a deux ans, avec Mohamed, mais n’avait pas osé passer au delà d’Apuddo, tant on lui disait de mal des populations méridionales et tant il lui paraissait pénible de rester renfermé à Faloro, pendant toute la saison des pluies, tête-a-tête avec l’officier égyptien. J’ai su depuis que ce hardi voyageur était l’italien Miani.

La misère est grande dans ces contrées ; et tandis