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devant la hutte centrale de la première cour, entouré de ses frères et d’un nombreux état-major, s’avisa de commander au régiment un défilé par colonnes, afin de le voir plus à son aise ; puis, se tournant vers ses officiers, il leur prescrivit de circuler à toute course parmi les rangs pour lui rendre compte de leur opinion sur l’organisation de ce corps. Un désordre général devait être et fut en effet la conséquence de cette ridicule manœuvre, après laquelle les officiers revinrent, faisant mine de charger le roi, la lance haute, dansant devant lui, exaltant le nombre des soldats, la grandeur du monarque, et jurant à ce dernier une fidélité inviolable. Le régiment reçut ensuite l’ordre de déposer ses fagots, et les guerriers qui le composaient, armés de bâtons en place de lances, imitèrent de leur mieux les bonds, les charges, les vociférations qu’ils venaient de voir accomplir par leurs officiers. Mkavia, la-dessus, présenta au roi cinq chèvres de l’Ousaga, remarquables par la longueur de leur toison, et n’omit aucun des n’yanzig requis par la circonstance. Mtésa, questionné par nous sur le chiffre de son armée, se contenta de nous répondre : « Comment le connaîtrais-je, lorsque vous avez sous les yeux un simple détachement convoqué pour transporter du bois ? »

Le régiment fut ensuite congédié, mais on invita les officiers à suivre le roi dans une des cours intérieures, où il les félicita d’avoir réuni tant de monde. Au lieu d’accepter purement et simplement cette louange, ils s’excusèrent de n’être pas venus encore plus nombreux, « et cela, disaient-ils, parce que certains de leurs subordonnés profitaient de leur lointaine résidence pour se soustraire à l’appel. » Maula, toujours prêt à provoquer des mesures de rigueur, ne manqua pas d’ajouter que, « s’il parvenait à convaincre les Vouaganda de l’obéissance qu’ils lui devaient, on ne verrait plus un seul exemple de refus pareils. » Et Mtésa, prenant tout aussitôt la balle au bond :

« Manquer de soumission vis-à-vis de vous, dit-il, c’est me désobéir de la manière la plus formelle, car je vous ai nommé mon aide-de-camp, et vous personnifiez dès lors la volonté royale. »

À peine ces mots prononcés, Maula, se dressant en pieds et se précipitant sur le roi la baguette en arrêt, finit par se rouler à ses pieds avec tous les n’yanzig de la reconnaissance la plus effrénée. Je m’attendais à voir sortir de tout ceci quelque décret sanguinaire ; mais Sa Majesté, fidèle à ses habitudes capricieuses, leva tout à coup la séance et passa dans une autre cour, ou seulement un petit nombre d’élus fut admis à le suivre.

Là, se tournant tout à coup vers moi :

« Bana, me dit-il, je vous aime, d’abord parce que vous êtes venu me voir de si loin, et ensuite pour toutes les belles choses que vous m’avez apprises depuis que vous êtes ici. »

Fort étonné de cette bizarre déclaration, qui me trouvait l’estomac vide et le cœur rempli d’amertume, je n’en témoignai pas moins, avec un respectueux salut, combien j’étais flatté d’inspirer au roi des sentiments si favorables : « ils me donnaient l’espoir, ajoutai-je, que Sa Majesté voudrait bien prendre en considération l’état de famine auquel mes gens se trouvaient réduits.

— Comment, s’écria Mtésa, manqueriez-vous de chèvres, par hasard ? »

Puis, sur ma réponse affirmative, il enjoignit à ses pages de m’en fournir immédiatement une douzaine, qu’il leur rembourserait sur les confiscations à venir, la ferme royale se trouvant pour le quart d’heure un peu dégarnie de bétail. « Ceci, repris-je, ne suffisait pas : mes Vouanguana manquaient de bananes, aucune distribution ne leur ayant été faite depuis quinze jours. » Le roi parut fort choqué de la négligence de ses pages, et leur prescrivit de la réparer à l’instant même.

Malgré toutes ces belles paroles de cour, plus d’un grand mois se passa encore avant que mes instances réitérées pussent décider le capricieux monarque à faciliter la reprise de notre voyage vers le nord. Enfin, dans les premiers jours de juillet, les plus grosses difficultés parurent aplanies, et nous pûmes espérer que les nuages toujours planant entre les deux cours rivales de l’Ouganda et de l’Ounyoro se dissiperaient en notre faveur.

Le 4 juillet, nous sommes retournés ensemble au palais, Grant et moi, pour offrir à Mtésa une carabine de Lancaster avec des munitions de chasse et le fauteuil qu’il m’avait déjà demandé tant de fois ; nous voulions le remercier en même temps du service qu’il nous a rendu en nous ouvrant les routes de l’Ounyoro. Après m’être excusé de lui offrir un cadeau si insuffisant, je lui manifestai l’espoir de lui envoyer plus tard, — soit par Pétherick si nous le rencontrions, soit par quelque autre traitant du haut Nil, — tout ce qu’il pouvait désirer. Je me donnai le plaisir d’ajouter que la poudre et le plomb, mis tout exprès en réserve pour lui être offerts dans cette circonstance solennelle, nous avaient par malheur été dérobés, et j’insistai sur les regrets que nous laissait un pareil larcin. Le roi, dont le regard restait fixé sur l’auteur probable du vol, — le chef des pages, tant de fois porteur de messages intéressés, — finit par détourner adroitement l’entretien en me demandant combien de vaches et de femmes je voulais emmener ? il avait en même temps levé la main, et, les doigts écartés, m’engageait à compter par centaines les têtes qu’il me fallait. Je lui répondis que cinq vaches et autant de chèvres nous suffiraient amplement, car je ne voulais pas surcharger nos bateaux, à partir de la crique Murchison. Quant aux femmes, je les refusai, en alléguant des motifs qui devaient lui paraître plausibles. D’autre part, ajoutais-je, je serais fort obligé au roi s’il voulait pourvoir chacun de mes gens d’une pièce de drap d’écorce (mbugu) et donner une petite défense d’éléphant à chacun des porteurs Vouanyamuézi, qui me demandaient à s’en retourner chez eux. Ils étaient au nombre de neuf.

Tout ceci fut accordé sans la moindre hésitation, après quoi, se tournant de mon côté :

« Il est donc bien vrai, Bana, me dit le roi, que vous désirez vous en aller ?

— Certainement, répondis-je, car voici quatre ans et