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dès que j’eus pris la parole pour témoigner le désir d’être présenté à tous les assistants. Parmi eux étaient un certain Mgéma, vieillard d’un aspect majestueux, qui avait eu jadis l’honneur de prêter ses épaules au feu roi Sunna, dont il était le Bucépale attitré ; Mpungu, jadis cuisinier de Sunna, et qui tient également à la cour un rang élevé ; puis Usungu et Kunza, deux bourreaux très-bien placés et possédant toute la confiance du roi ; finalement Jumba et Natiga, qui font remonter leur généalogie au temps des premiers rois de l’Ouganda. À mesure que je prenais note de leurs différents noms, je les voyais se réjouir d’être inscrits ainsi sur mes tablettes. Kunza, l’un des deux bourreaux, sollicita de moi, comme une grande faveur, que je voulusse bien plaider la cause de son fils auprès du roi, et faire révoquer un arrêt de mort prononcé dernièrement contre ce pauvre diable. J’ai cru devoir tout d’abord, dans l’intérêt de ma dignité, soulever quelques objections, basées sur ce « qu’un homme tel que moi ne peut s’exposer à la chance d’un refus. » Mais sur les assurances du kamraviona, « que je ne risquais rien de pareil, » opinion que partageaient tous les assistants, je répondis que j’aurais grand plaisir à intercéder pour lui, et le vieillard me serra la main dans un véritable transport de joie.

Les « fidèles » des capitaines Speke et Grant. — D’après une photographie.

En conséquence, étant allé le sur lendemain, dans l’après-midi, faire visite au roi, chez lequel le signal de mon arrivée a fait aussitôt affluer une foule de courtisans, et Kunza, le vieux bourreau, se trouvant parmi eux, j’ai demandé au roi le pardon de son fils.

« Eh quoi, s’est écrié Mtésa tout surpris, est-il bien possible que le Bana sollicite une pareille faveur ? »

Ceci lui étant confirmé, il a donné l’ordre de mise en liberté, au milieu des rires de l’assistance tout entière, moins toutefois le pauvre vieillard, qui, tout ému, les yeux pleins de larmes, est venu tomber à mes pieds pour me témoigner sa reconnaissance. Le roi, que cet incident venait de mettre en belle humeur, m’emmena peu après au milieu d’une trentaine de frères qu’il a et qui vivent autour de lui dans une espèce de demi-captivité, sous le rigoureux contrôle d’un officier spécialement chargé d’empêcher toute intrigue. Les uns sont adultes, les autres encore enfants. Il en est qui portent des menottes, il en est qui sont à peu près prisonniers sur parole. Tous me voyaient pour la première fois, et j’étais signalé d’avance à leur admiration curieuse. Aussi, dans les intervalles du concert qu’ils exécutaient eux-mêmes pour nous distraire, il a fallu leur montrer mes cheveux, ôter mes souliers, qu’ils ont inspecté minutieusement, retrousser mes pantalons pour les convaincre que la peau de mon corps était blanche comme celle de mon visage. Sur ces entrefaites, Bomhay apparut, chargé de bananes, et venant me rendre compte d’une mission relative à l’approvisionnement de notre camp. Son arrivée, opportune s’il en fut, a provoqué les questions du roi, et j’ai pu m’assurer, témoin de sa surprise indignée, qu’il avait ignoré jusqu’alors la situation difficile que nous faisait journellement la question des vivres.

« Il m’est arrivé, s’écria-t-il, de faire tuer jusqu’à cent vouakungu dans la même journée ; je suis tout prêt à recommencer, s’ils ne prennent pas mieux soin de nourrir mes hôtes, car je sais comment on guérit la désobéissance. »

24 mars. — Visite au palais sur invitation formelle.