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beau rhinocéros mâle qui se rapprochait de moi, mais sans savoir encore au juste dans quelle direction prendre son élan. Pendant qu’il était livré à cette perplexité, je me glissai vers lui à travers les broussailles et, l’apercevant à côté d’un arbre où il semblait attaché, je lui envoyai en plein flanc le contenu de mon fusil Blissett. Il n’était pas d’un tempérament à supporter une pareille atteinte, et s’éloigna tout d’abord d’une allure assez rapide ; mais peu à peu, affaibli par la perte de son sang, il ralentit sa marche et finit par se coucher à terre, ce qui me permit de l’achever.

Attirés par le bruit du coup, les jeunes princes accoururent presque aussitôt pour s’enquérir de ce qui s’était passé. C’est à peine si, tout d’abord, ils voulaient en croire leurs yeux ; mais ensuite, — avec l’instinct des bienséances qui est l’apanage du vrai gentleman, — ils me félicitèrent en me serrant la main de pouvoir aborder avec tant de calme un si formidable animal.

Antilopes de marais (tragelaphus Spekii) (voy. p. 322). — Dessin de Wolff.

Ils parlaient encore, quand un cri lointain nous signala un autre rhinocéros caché dans le fourré. En arrivant où on m’appelait, je vis que je pourrais tout au plus me faire accompagner de deux hommes portant mes fusils de rechange, dans cet épais taillis que les fortes épines de l’acacia rendaient presque impénétrable, si ce n’est aux endroits frayés par les animaux mêmes dont ils sont le refuge. Me guidant comme je pouvais et littéralement plié en deux, j’étais arrivé à mi-chemin de l’endroit vers lequel je me dirigeais, lorsque je vis déboucher devant moi tout soudainement, avec un sourd bruissement d’haleine et de pas, une énorme femelle suivie de son petit. Dans cette conjoncture embarrassante, il fallut absolument se jeter de côté, malgré les épines qui me déchiraient le visage ; mais je lui envoyai dans la tête une balle qui la poussa hors de mon chemin et la contraignit à chercher son salut en rase campagne. Là, je la poursuivis et la blessai de nouveau. Elle gagna la montagne et me mena, toujours courant après elle, dans une autre fourré non moins épais que le premier, qui fermait l’entrée d’un étroit vallon. J’y trouvai trois autres rhinocéros qui, dès qu’ils m’éventèrent, me chargèrent de front tous à la fois. Mes deux porte-mousquets, fort heureusement, ne m’avaient pas abandonné ; je pus donc, à force de crochets et de sauts de côté, frapper alternativement mes trois ennemis. L’un d’eux tomba mort à peu de distance ; mais les autres ne purent s’arrêter qu’au bas de la pente sur laquelle ils étaient lancés. Pour mon compte, je me sentais satisfait ; toutefois, à la requête des princes, je continuai la chasse. Un des deux rhinocéros, bien évidemment, avait la jambe cassée. Je m’adressai à celui qui me paraissait intact, et je lui envoyai une autre balle qui le détermina simplement à s’éloigner. Revenant alors vers le premier atteint, que j’avais mis hors d’état de s’enfuir, je demandai aux Vouanyambo de l’achever avec leurs flèches et leurs lances, pour me faire une idée de leurs chasses habituelles. L’animal, cependant, nous chargea si vigoureusement lorsque nous approchâmes de lui, qu’il leur fut impossible de l’aborder. Un second coup le força au repos. Quand il fut incapable de se défendre, nos hommes se jetèrent sur lui pour tout de bon, et jamais je n’ai assisté à un dénoûment plus sauvage. Chacun venait tour à tour plonger sa lance, son assagaie ou sa flèche dans les flancs de la victime immobile, dont le corps finit par ressembler à celui d’un porc-épic. Je partis alors, laissant l’ordre de couper les deux têtes et de