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tionnelle de la terre et des eaux, la capacité (la force), des navires qui portaient jusqu’aux éléphants et aux rhinocéros destinés à nos ménageries. Nous l’étonnâmes aussi beaucoup en lui apprenant que notre pays était au nord du sien, bien que nous vinssions du midi, d’après les assurances de son ami Musa, lui demander passage pour nous rendre dans l’Ouganda. Le temps s’écoulait avec une rapidité merveilleuse durant ce premier entretien, mais comme le jour baissait, il fallut songer à notre installation, et, profitant de l’option qui nous était laissée, nous allâmes nous établir, à l’extérieur du palais, dans un endroit ayant vue sur le lac, dont l’aspect nous avait charmé.

Un des jeunes princes à qui on avait recommandé de veiller sur nous, ne m’eut pas plutôt vu installé dans mon fauteuil de fer, qu’il courut rendre compte à son père de cette nouveauté merveilleuse. Ceci me valut une invitation à me rendre sans retard au palais pour montrer « l’homme blanc » sur son trône, et dans tout l’appareil de la dignité royale que me conférait un siége si honorable.

J’obéis quelque peu à regret, dédommagé cependant par la joyeuse admiration de mon hôte, par son intelligente curiosité, par la confiance enfin qui s’établissait entre nous : « Oh ! ces Vouazungu, ces Vouazungu, s’écriait-il avec un hochement de tête significatif, que ne savent-ils pas, — et de quoi ne sont-ils pas capables ? »

Système des eaux dans les montagnes à l’ouest du Nyanza.

Je profitai de l’occasion pour glisser un mot contre les préjugés superstitieux par suite desquels les Vouahuma nous refusaient du lait[1]. Le roi me répondit que ces idées avaient exclusivement cours parmi les classes pauvres, et qu’il mettrait bien volontiers à notre service le produit quotidien d’une de ses vaches. En rentrant au camp où ce prince, si rempli d’égards, venait d’envoyer un supplément de son excellente bière, je trouvai les Vouanguana dans un état de liesse complète. Les chèvres, la volaille arrivaient à chaque instant par suite des ordres expédiés de tous côtés pour que les hôtes du roi ne manquassent de rien, et nos approvisionnements se renouvelèrent ainsi pendant un mois de suite, mais sans diminuer beaucoup ma dépense quotidienne (en rassades, bien entendu) car on négligeait assez volontiers de nous pourvoir de grain et de bananes. Les vents froids d’ailleurs faisaient grelotter nos gens de la côte, et dans leur ignorance naïve, ils se croyaient tout près de l’Angleterre, le seul pays hyperboréen dont ils eussent jamais entendu parler.

26 nov. — Ayant ouï dire qu’il serait inconvenant de hâter l’acquittement du tribut de passage, et voulant néanmoins ne pas me montrer insensible aux traitements généreux dont je suis l’objet, il m’a paru à propos d’offrir à Rumanika mon pistolet-revolver, le premier qu’il eût jamais vu, et qui avait produit sur lui une impression surprenante. Je suis allé le trouver pour cela dans la hutte qui constitue sa résidence particulière. La propreté, l’élégance relative et le bon entretien de cette demeure n’ont pas laissé de m’étonner. La toiture est soutenue par des poteaux parfaitement réguliers auxquels sont attachés des trophées de lances et de javelines, les unes avec des manches de fer et des pointes de bronze, les autres avec des pointes de fer et des manches de bois, toutes artistement travaillées. Un grand écran mobile, en tresse de paille élégamment ouvragée, formait cloison et divisait la chambre en deux portions inégales ; on voyait, sur la paroi opposée, à titre de simple ornement, de petites ancres d airain et des modèles de vaches exécutés en fer, dans des proportions fort réduites, par les Arabes de Kufro. Ma visite nous a été rendue dès l’après-midi par Rumanika et Nnanaji, dans un but tout politique. Le premier venait nous demander, usant de cette magie qui nous fait retrouver notre chemin à travers le monde, de tuer par quelque sortilége son frère Rogéro qui réside, m’a-t-il dit, sur une montagne dominant le cours de la Kitangulé. Les deux princes se prélassant sur nos siéges avec une indicible satisfaction, je n’ai pas cru indiscret de leur demander quelques renseignements plus précis et plus détaillés sur l’objet de cette étrange requête. Voici le résumé de ce qu’ils m’apprirent.

À Dagara, leur père, avant de mourir de vieillesse, commit l’imprudence de dire à la mère de Rogéro que ce dernier, bien qu’il fût le cadet de la famille royale, avait toutes les qualités requises pour faire un excellent monarque. Saisissant au vol cette suggestion irréfléchie, la reine en question éleva son fils dans l’idée qu’il gouvernerait un jour le pays, malgré la loi de primogéniture qui règle la succession au trône, loi restreinte dans son application à ceux des enfants du roi qui sont nés depuis

  1. Ils craignent, à ce qu’il paraît, pour leur bétail l’influence funeste de quiconque ayant mangé soit du porc, soit du poisson, soit de la volaille, soit une espèce de fève appelée maharagué, viendrait ensuite à boire le lait de leurs vaches.