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m’escorter autant d’hommes armés que je voudrai. Après leur avoir remontré l’absurdité de leur conduite, je me laisse peu à peu fléchir au point de rédiger les articles d’un traité de paix qu’ils s’engagent à exécuter, une fois signé, sous peine de voir confisquer ce qu’ils ont de domaines le long de la côte. Mais à peine étaient-ils partis avec cette assurance que Musa vient me raconter l’assassinat du vieux Maula (de Rubuga) commis par l’un d’eux avec toutes les circonstances de la plus abominable trahison. Aussi les accueillis-je fort mal le lendemain lorsqu’ils se présentèrent pour signer le traité, leur reprochant ce meurtre dont un de mes protégés venait d’être victime. Il n’en fallut pas moins accepter leurs vaines excuses et leur prêter quelques-uns de mes gens qui, moyennant salaire convenu, se chargeaient d’aller négocier l’armistice à conclure avec Manua Séra. Cette députation, placée sous les ordres de Baraka, revint dans la journée du 6, ramenant en triomphe deux ministres de Manua Séra, — dont un borgne que j’appellerai le Cyclope, — et deux autres appartenant à un chef nommé Kitambi (le Petit Drap-Bleu), lequel est maintenant l’hôte et l’allié de Manua Séra. Ces deux potentats ont reçu mes gens avec beaucoup d’égards, reconnaissant à l’envi l’un de l’autre que Manua Séra, sans mon entremise, ne pourrait jamais remonter sur le trône. C’est en vertu de cette considération, qu’après quelques scrupules motivés par le meurtre de Maula, le jeune chef a risqué ses ambassadeurs et accepte la garantie du Bana Mzungu (c’est-à-dire du Seigneur blanc). Il exige au reste que la paix se négocie dans l’Ounyanyembé, « car il serait, dit-il, au-dessous de sa dignité de traiter ailleurs que dans le domaine de ses ancêtres. » Il veut de plus que les premières transactions aient lieu dans le tembé de Musa.

Femmes de l’Ounyamouezi pilant du sorgho. — Dessin de Émile Bayard.

Le lendemain, 7, devant l’assemblée des Arabes, en présence de tous mes gens, les deux chefs écoutent solennellement les propositions que Baraka est chargé de leur faire en mon nom. Dès qu’il a fini, les Arabes y donnent leur adhésion la plus complète. Le Cyclope, alors, avec une éloquence digne de notre premier ministre, résume rapidement les incidents de la guerre. « Son chef, dit-il, n’avait de rancune que contre Snay. Ce dernier ayant été tué, Manua Séra ne demande qu’à faire la paix. » Les Arabes répondent en termes convenables, attribuant leur ressentiment à une injure obscène que Manua Séra se serait permise à leur égard, outrageante allusion à certain rite du culte musulman. « Ceci, comme le reste, sera mis en oubli puisque Manua Séra manifeste un sincère désir de réconciliation. » On aborde ensuite la question délicate du territoire à lui rendre. Je m’attendais à lui voir réclamer l’Ounyanyembé tout entier. Le Cyclope prétend au contraire qu’on pourra le contenter à moins, ce royaume ayant déjà été partagé. Ce sera l’objet d’une conférence tenue avec Manua Séra lui-même que j’invite à venir immé-