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où nous arrivons à six heures et demie, après avoir traversé un pays riant, entre les montagnes et l’Hermus. Au delà du fleuve nous voyons se dresser les tumulus gazonnés qui servent de tombeaux aux rois de Lydie. Construits au bord du lac Gygès, à l’exemple des nécropoles égyptiennes voisines du lac Mœris, ils sont si nombreux que les Turcs appellent ce lieu Ben-Tépé (les mille collines). La plus élevée de ces éminences a été décrite par Hérodote comme étant le tombeau d’Alyatte, père de Crésus ; sa circonférence est de près de mille mètres. On y a tenté, dernièrement, des fouilles qui n’ont pas amené de découvertes importantes.

Cassaba est une petite ville commerçante ; on dit que ses habitants cultivent bien leur territoire ; ils envoient à Smyrne des melons et des pastèques renommés à juste titre. Nous y recevons la plus cordiale hospitalité chez un négociant catholique élevé à Smyrne et parlant assez bien le français. Un enfant lui est né dans la nuit qui a précédé notre arrivée. Il doit aller à Smyrne chercher un prêtre pour le baptiser, et se décide à faire route avec nous.

Le 18, nous partons à huit heures du matin. Nous sommes dans la vallée qui sépare le Tmolus du Sypile ; au delà de cette montagne est Magnésie, où Scipion l’Asiatique battit Antiochus le Grand.

La campagne est en partie cultivée, couverte en partie de lauriers-roses. Nous rencontrons à chaque instant de longues files de chameaux ; on sent le voisinage de la ville la plus commerçante de l’Anatolie.

Après avoir traversé à gué une rivière, près des ruines d’un ancien pont, nous nous arrêtons à un café, et, laissant nos domestiques et les surudjis gagner Smyrne directement, nous prenons un guide et nous nous dirigeons avec notre compagnon de voyage et les zaptiés vers les montagnes situées à l’est de Nymphi ; nous voulons y visiter le bas-relief sculpté sur le flanc de l’un des rochers de la vallée de Kara-Bell, et qui, au dire d’Hérodote, représenterait Sésostris le Conquérant[1].

Smyrne : Le golfe vu des ruines du château byzantin, sur le mont Pagus. — Dessin de Guiaud d’après un dessin de Mme la marquise de L. (voy. p. 270).

Malgré la vitesse de nos chevaux, nous arrivons au but de notre excursion peu de temps seulement avant le coucher du soleil ; notre guide a peine à trouver la gorge étroite où est situé le bas-relief ; nous rencontrons un zeibek qui nous y conduit. Un rayon de lumière éclaire encore le rocher, et je puis, à travers des pierres et des broussailles, hisser et installer ma chambre obscure à peu près en face du bas-relief, pour le reproduire par la photographie. Le dessin que l’on voit page 266 me dispense d’une description. Le lecteur remarquera que la roche calcaire a subi l’action du temps ; la poitrine du guerrier ne porte plus cette inscription dont Hérodote signalait l’existence ; les caractères hiéroglyphiques sculptés entre la tête du personnage et le fer de sa lance sont à peine perceptibles aujourd’hui.

L’ensemble et les détails de ce bas-relief répondent exactement à la description d’Hérodote, si ce n’est que la lance est dans la main gauche et l’arc dans la main droite, à l’inverse des indications fournies par le grand historien. Nul doute, cependant, qu’il n’ait entendu désigner le bas-relief de Kara-Bell ; mais ne s’est-il pas trompé en l’attribuant à Sésostris, n’est-ce pas plutôt un monument assyrien ? Quelques voyageurs penchent pour la seconde hypothèse ; je n’entreprendrai point de trancher cette question, mais elle est digne de toute l’attention des savants.

Nous repartons sans tarder, chevauchant au crépuscule à travers des ravins tapissés de touffes de myrte. Tout à coup, au-dessus des buissons, nous voyons briller les canons de quatre fusils, et ceux qui en sont armés, des zeibeks costumés à ravir, se présentent en travers de

  1. Hérodote, liv. II, 106.