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dans ce petit monument (qui a cinq mètres de haut, presque trois de long), passant une jambe d’un côté, ses bras et sa tête de l’autre, s’évertuant à donner le vertige. Que les mânes de Vischer ne s’irritent point ! mais ce brave homme a vraiment l’air de rétamer. Bien lui prend, d’ailleurs, d’être court et fluet : cet exercice-là ne siérait nullement, par exemple, à mon hôte du Rothe Ross.




La châsse, lamée d’or et d’argent, qui contient les reliques de saint Sebald, est abritée sous un élégant petit édifice gothique. Le socle est décoré de bas-reliefs qui racontent la vie du saint et ses miracles. À regarder l’ensemble de l’œuvre, on est d’abord embarrassé par sa composition un peu complexe, surtout par la multitude et la diversité de ses figurines mythologiques ou chrétiennes, apôtres, pères de l’Église, anges, amours, syrènes, Hercules, sans compter les lions, dauphins, escargots, et insectes : c’est tout un monde ! Mais peu à peu l’ordre se fait, le charme secret agit, l’art délicat des détails intéresse : on éprouve un plaisir exquis a étudier une à une les belles figures d’apôtres que supportent les colonnettes ; elles sont vraiment bien grandes dans leur petite taille ! elles font penser à Ghiberti et à Donatello : le souffle florentin est venu jusqu’ici en passant par Venise. L’inspiration plus purement allemande se reconnaît auprès, dans de jolies statuettes, mais où l’on a le sentiment qu’elle pèse un peu, qu’elle ne s’élève ni si librement ni si haut. Tout n’est pas de même valeur : le goût du bon sculpteur nurembergeois et de ses enfants a eu des défaillances. On n’est point là en contemplation si parfaitement égale et sereine que devant la porte du baptistère de Sainte-Marie des Fleurs. Mais pourquoi cette pensée ? Mieux vaut écarter toute comparaison et admirer avec reconnaissance. Le tombeau de saint Sebald est digne de sa célébrité. Pierre Vischer, qui s’est figuré lui-même liliputiennement à l’une des extrémités de la tombe, en costume de simple ouvrier, est un artiste de premier ordre : il suffirait à l’honneur de Nuremberg de lui avoir donné naissance.




Si j’étais sage, je ne regarderais de tout le reste de cette journée aucune autre œuvre d’art. Me voici, grâce à Vischer, en digne et heureuse disposition d’esprit : qu’aurais-je de mieux à faire que de me soutenir le plus longtemps possible dans cette sphère de satisfaction idéale et de douce paix ? À vingt ans, lorsque je venais d’entendre Cinna, Polyeucte, Nicomède ou le Cid, j’avais toujours grand soin de sortir du théâtre avant la petite pièce, emportant en toute hâte ces grandes visions héroïques, dans la crainte de quelque impression inférieure qui les eût effacées de mon cœur ravi ! Je fuyais impatient à ma chambrette, et je m’y enfermais palpitant, heureux de n’avoir plus rien à redouter du monde dans les longs silences de la solitude et de la nuit.




Je n’ai pas évité la petite pièce. Mais comment faire, au milieu du jour, dans une ville où l’on est exposé, ainsi que dans celle des Médicis, à rencontrer quelque œuvre d’art des quinzième ou seizième siècles à chaque pas, partout, sur les places, et l’intérieur des cours, sur les murs ? En ce temps-là on ne se complaisait pas à la froide symétrie, à la monotonie nue et insignifiante des longs alignements, on ne comprenait point le charme des grandes surfaces planes, uniformes et muettes. On aimait, au contraire, sur les places et le long des rues, dans les monuments comme dans les habitations privées, la diversité, les contrastes, les lignes interrompues, les saillies, la libre expansion du goût et du caractère individuels. Les artistes, encouragés, sollicités par le sentiment public, déployaient une verve et une activité extraordinaires. De simples marchands en détail faisaient décorer l’extérieur de leurs maisons de statues ou de bas-reliefs dont ils donnaient eux-mêmes la première idée ; et, aujourd’hui, nous sommes heureux d’orner nos musées ou nos collections privées de ces enseignes sculptées, religieuses ou historiques, allégoriques ou plaisantes. Par quelles influences expliquer cette merveilleuse efflorescence du goût des arts en Europe, aux quinzième et seizième siècles, jusque dans les professions les plus vulgaires ? Le petit trafiquant, l’artisan, l’homme du peuple étaient-ils plus éclairés que ceux de notre siècle ? Les écoles d’art, les expositions de peinture et de sculpture étaient-elles plus nombreuses ? Non : mais il s’agitait dans les âmes quelque chose qui avait besoin de l’art pour s’exprimer extérieurement. La source était ancienne et profonde : elle avait jailli sous la puissante commotion des tremblements du Golgotha, de la chute épouvantable du colosse romain, des hordes impétueuses du nord foulant, ravageant, transformant la surface de l’Europe : elle avait été, pendant une longue suite de siècles, tumultueuse et d’abondance déréglée, trouble, sombre, tempétueuse comme la destinée des peuples ; mais, vers le quinzième siècle, alors qu’achevaient de se dissiper les terreurs du moyen âge et que commençaient à renaître la sécurité et la confiance parmi les hommes, on la vit s’épancher plus mesurée, plus contenue, plus transparente, et comme pénétrée de la pure et sereine lumière d’un ciel nouveau. Ce n’est pas pendant la crise des émotions violentes que peuvent s’épanouir les belles et nobles inspirations de la sensibilité poétique et des arts. Qui de nous n’est capable d’en juger par quelqu’une des grandes épreuves de son existence ? C’est peu après, quand l’esprit sent se

    pour nous, allez plutôt à ceux qui en vendent, et achetez-en ce qu’il vous en faut. » Mais pendant qu’elles allaient en acheter, l’Époux arriva ; et celles qui étaient prêtes entrèrent avec lui aux noces, et la porte fut fermée. Enfin, les autres vierges vinrent aussi, et lui dirent : « Seigneur, ouvrez-nous. » Mais il leur répondit : « Je vous le dis en vérité, je ne vous connais point. » Veillez donc, parce que vous ne savez ni le jour ni l’heure. (Évangile selon saint Matthieu.)