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aucun trait aux affaires. Les Chinois sont extrêmement curieux des choses de l’Europe, et s’en informent chaque fois qu’ils en trouvent occasion.

Cependant, sauf l’exécution des charges financières acceptées par le gouvernement chinois en indemnités des frais de guerre, il était difficile à la diplomatie européenne d’obtenir des concessions sérieuses du prince de Kong ; ce dernier trouvait dans l’éloignement de l’empereur, son frère, un motif de non recevoir perpétuel, et d’un autre côté, il eût été maladroit, tout en exagérant la complète exécution des traités, de ne pas ménager la position du prince de Kong, véritable appui des Européens contre la camarilla hostile qui régnait à Ge-Holl.

Cette fausse situation se prolongea pendant six mois jusqu’à la mort de l’empereur Hien-Foung qui eut lieu le 22 août 1861 : Hien-Foung, qui n’avait encore que trente-trois ans, usé et vieilli par la débauche, avait succombé aux suites d’une rapide consomption.

Le 25 août, le prince de Kong donnait avis par dépêche à M. de Bourboulon, que l’empereur était parti dans la journée du 22, monté sur le dragon, pour rejoindre les pays d’en Haut, et qu’en conséquence les relations diplomatiques devaient être interrompues pendant le temps convenable.

L’étiquette du deuil est très-sévère en Chine, et comme nous aurons occasion de le dire plus tard, elle est particulièrement rigoureuse, lors du décès du souverain régnant.

La mort prématurée de Hien-Foung, qui ne laissait d’autre héritier qu’un faible enfant de six ans, allait mettre aux prises les deux partis qui se disputaient l’empire.

Le premier, composé des princes de Y-tsin-Houang et de Tchun, alliés à la famille impériale et du grand mandarin Sou-Chouen, avait formé dès l’époque de la retraite de l’empereur à Ge-Holl, un triumvirat destiné à exploiter sa faiblesse. S’enveloppant dans les mystères d’un éloignement dont la durée n’était pas calculable, et repoussant nettement les faits accomplis, il dictait, au nom du nouveau souverain qu’il gardait à vue, des arrêts de nature à détruire l’influence acquise par le parti opposé. Le triumvirat appuyait d’ailleurs son autorité sur un décret impérial qui l’avait constitué en conseil de régence.

Le prince de Kong et le prince de Tching, oncles du jeune empereur, soutenus par les grands mandarins Wen-Siang et Kwei-Liang, n’acceptèrent pas ce prétendu décret produit après coup, et non enregistré dans les formes voulues.

Une lutte devenait inévitable ; il s’agissait de savoir qui l’emporterait du parti favorable aux idées nouvelles ou de ses adversaires déclarés.

On comprendra avec quelle anxiété le ministre de France en attendait les résultats : il songeait aux conséquences possibles de la chute du prince de Kong pour les quelques Européens établis dans cette grande ville, loin de tout secours et à la merci d’une population qui pouvait devenir hostile.

L’odieux attentat de Toung-Cheou avait prouvé le peu de respect des Chinois pour les parlementaires, et leur facilité à violer cruellement le droit des gens.

Le prince de Kong se rendit à Ge-Holl vers la fin d’octobre, gagna à sa cause les deux impératrices, veuves de Hien-Foung, dont la seconde était la mère du jeune empereur, et, malgré l’opposition du conseil de régence, fit décider le retour de la cour à’Pékin le 1er novembre.

La Gazette officielle, en annonçant cet heureux événement, défendait à la population de se porter sur le passage du cortége impérial, qui devait rentrer par la Porte du Nord, et les ministres Européens avaient été priés de s’abstenir de diriger leurs promenades vers cette partie de la ville.

Le prince de Kong, accompagné des dignitaires de son entourage, ainsi que de tous les hauts fonctionnaires, partit le 30 octobre pour se rendre au-devant de la cour, qui fit son entrée au jour indiqué.

Le lendemain matin, les princes de Y et de Tchun qui croyaient leur position au-dessus de toute attaque, furent arrêtés chez eux et conduits en prison, sans tenter aucune résistance.

Il n’en fut pas de même de Sou-Chouen, le plus défiant et le plus audacieux des membres du conseil de régence : il s’était improvisé une garde, et suivait le cortége impérial à une journée de marche en arrière ; le jeune prince de Tching, qui s’était chargé personnellement de l’arrêter, le rejoignit à quelques lieues de Pékin, dans un yamoun, où il avait passé la nuit, traversa les rangs de ses gardes du corps, qui n’osèrent porter la main sur la personne sacrée de l’oncle du jeune empereur, lui signifia qu’il était porteur d’un édit d’arrestation, et qu’il eût immédiatement à ouvrir la porte de sa chambre qu’il tenait hermétiquement fermée, sans quoi il allait la faire enfoncer, ne répondant plus alors des conséquences que pourrait avoir sa résistance.

Sou-Chouen entrouvrit sa porte, « m’arrêter, dit-il, en vertu de quel ordre ! et qui a le droit de faire des édits, si ce n’est le conseil de régence ?

« Si vous ne reconnaissez pas la légalité de l’édit, répondit le prince de Tching, c’est en mon nom personnel que je vous donne l’ordre de vous rendre prisonnier ! » et, en même temps, le prince, qui est jeune et vigoureux, poussa la porte et mit la main sur le vieux mandarin que ses partisans avaient abandonné et qui ne put se défendre plus longtemps.

Le même jour parut dans la Gazette de Pékin un décret impérial annonçant la dissolution du conseil de régence, et la mise en jugement des tout-puissants favoris du dernier empereur. Un autre décret proclamait le prince de Kong, I-tchen-Wouang, c’est-à-dire prince chargé de la direction suprême, ou autrement premier ministre ; le titre de régente de l’empire était décerné à la première impératrice.

Cependant le Tsing-Pou, ou haute cour de justice, fit son rapport sur les accusés dans les vingt-quatre heures, et ils furent condamnés en dernier ressort par le grand