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giner que les étrangers étaient gardés à vue, on avait refusé toute escorte militaire chinoise.

Mme de Bourboulon était si souffrante, qu’on dût l’emporter dans une litière, où elle fit tout le trajet couchée, sans avoir même la force de changer de côté : elle était suivie de son médecin, et on avait emporté une tente pour l’abriter, s’il devenait nécessaire qu’elle s’arrêtât ; heureusement le changement d’air et le mouvement lui redonnèrent un peu de force.

Il y a environ trente lieues de Tien-Tsin à Pékin, et le voyage fut divisé en quatre étapes d’égale durée, pour rendre le trajet moins fatigant.

En sortant de Tien-Tsin, on suit une chaussée empierrée élevée de plusieurs mètres au-dessus des plaines environnantes ; des ponts en pierre de taille laissent de distance en distance passer les canaux d’irrigation qui vont rejoindre le Peï-ho. Cette rivière devenue beaucoup moins large, trace des sinuosités sans nombre dans la vallée verdoyante où coulent ses eaux paisibles. De temps en temps, on voit près de la route des groupes de maisons formant des hameaux agricoles.

À dix-sept kilomètres de Tien-Tsin, se trouve le village de Pou-Kao, où on s’arrêta une heure environ ; sa population s’élève à douze mille habitants ; ces bourgs populeux sont très-fréquents en Chine, mais comme ils ne sont pas murés, ils ne portent pas même le nom de villes.

On arriva le soir à six heures à Yang-Tchouen, cité ancienne, très-délabrée, où on ne remarque que deux portes monumentales élevées aux deux extrémités de la route qui forme une grande rue traversant la ville d’un bout à l’autre ; des pans de murailles épars çà et là, des portes de guetteurs avec des meurtrières, un antique yamoun dans un état de ruine et d’abandon complet, où on fut forcé de coucher, tel est l’aspect de Yang-Tchouen.

Le lendemain soir on passa la nuit plus confortablement au gros bourg de Hos-si-Mou, dans un beau monastère Bouddhiste, préparé à l’avance par les soins des mandarins d’avant-garde.

Rives du Peï-ho. — Dessin de Lancelot d’après un croquis pris sur les lieux.

Jusque-là, la chaussée qu’on suivait s’était déroulée au milieu d’une plaine nue dont la monotonie n’était interrompue que par le cours du Peï-ho ; le troisième jour le paysage devint plus accidenté.

Un peu avant Ma-Tao, on voit de grandes dunes sablonneuses, plantées de taillis d’arbres verts : Ma-Tao, petite ville murée, se présente dans une position pittoresque, au sommet d’une colline élevée au pied de laquelle passe la route ; le pays est boisé, plein de haies et de vergers.

La route s’éloigne ensuite de la rivière, et traverse une grande plaine bordée par le canal qui part de Tchang-Kia-ouang.

Ce fut là qu’à la suite de l’odieuse trahison qui avait coûté la liberté ou la vie aux parlementaires français et anglais, l’armée alliée livra, le 18 septembre 1860, un premier combat victorieux aux milices tartares.

Tchang-Kia-ouang conserve les traces récentes du passage des armées ; beaucoup de maisons y sont détruites, et la population dispersée n’a pas encore au bout de six mois osé regagner ses foyers.

Après un pénible trajet de cinquante kilomètres sur une route mal entretenue, les voyageurs aperçurent à la tombée de la nuit la grande ville de Toung-Tcheou.

Le cortége dut s’arrêter dans les faubourgs parce qu’on ne savait pas dans quel endroit était le yamoun préparé pour la nuit : une population immense, attirée par la curiosité, entourait les voitures, mais elle ne manifestait aucun sentiment de répulsion, ni d’antipathie, et s’écartait avec la plus grande docilité au moindre geste des soldats de l’escorte, auxquels il était d’ailleurs recommandé de ne point la rudoyer, et d’éviter toute apparence de menace.