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n’avaient la détestable habitude de nouer la ceinture de leur pagne au-dessus des seins. Elles ont la peau d’une douceur et d’un poli remarquables, de beaux yeux et les extrémités souvent petites. Leur costume consiste en une pagne, grande pièce d’étoffe en coton ou en soie. Pour ornements, elles portent des bracelets très-lourds en étain, en cuivre, en argent ou en or aux jambes et aux bras, des colliers de verroteries et d’ambre au cou et autour des reins, et enfin des pendants d’oreilles tellement pesants quelquefois qu’elles sont obligées de les soutenir avec une mèche de cheveux pour que leurs oreilles ne soient pas déchirées.

L’habitude du tatouage est peu répandue au Dahomey : il est remplacé par des peintures rouges ou blanches pratiquées sur le visage ou plus souvent sur les jambes. Le chef de la famille a sur ses femmes et sur ses enfants une autorité absolue qui peut aller même jusqu’à les vendre comme esclaves. Mais il faut dire que, grâce à la douceur naturelle du caractère dahomyen, ces exemples sont fort rares, et qu’au contraire ils les traitent avec une grande bienveillance. Toutefois aux femmes seules incombent tous les travaux de la maison. Pendant que leur seigneur boit, dort ou fume, elles fabriquent l’huile de palme, vont chercher le bois et l’eau, préparent les aliments, qu’elles lui présentent toujours à genoux, sans jamais être admises à les partager avec lui.

La chasse et la pêche sont avec la guerre les seules occupations des hommes. La condition des esclaves est très-supportable, et il est difficile de les distinguer du reste de la famille dont ils partagent les travaux et les plaisirs. Ils ne sont battus que pour des fautes graves, comme le vol par exemple, auquel ils sont très-enclins. Au roi seul appartient le droit de disposer de leur vie, et alors ils sont réservés pour les immolations qui marquent le jour de l’horrible fête des Coutumes[1].

Il n’y a point de cimetière dans le Dahomey, et chacun enterre ses morts dans sa propre case. À Tafoo, j’étais entré, en compagnie de notre interprète, dans la case d’un habitant : après quelques mots échangés, l’interprète me dit qu’il avait perdu son père le jour précédent. Je demandai où il l’avait enterré, et il frappa du pied le sol même de sa case ; craignant d’avoir été mal compris, je fis réitérer la question, il y répondit par le même geste, et l’interprète me confirma ce fait qu’ils inhument leurs morts dans leurs habitations.

Les Dahomyens sont de petite taille, mais robustes, bien découplés, infatigables marcheurs et d’une agilité surprenante : c’est merveille de les voir grimper en un clin d’œil, au moyen d’une ceinture d’écorce, au sommet d’un palmier de soixante ou quatre-vingts pieds de hauteur. Sobres par nécessité, ils deviennent d’une gloutonnerie incroyable quand ils trouvent moyen de se régaler aux dépens d’autrui. L’ivrognerie n’est pas un vice habituel chez eux, car ils pourraient s’enivrer journellement avec leur vin de palme qui est très-capiteux, et cela ne leur arrive guère que lorsqu’ils trouvent l’occasion de boire de l’eau-de-vie. D’un caractère doux, hospitalier, enclin à la gaieté la plus expansive, ils seraient d’un commerce facile et sûr, sans leur penchant irrésistible au vol. Très-respectueux envers leurs supérieurs, ils ne les abordent jamais sans se mettre à genoux, et gardent cette posture jusqu’à ce que ceux-ci, en battant doucement des mains, leur donnent permission de se lever et de parler. Quand deux hommes d’égale condition se rencontrent, ils se saluent en se donnant mutuellement la main droite, chacun d’eux faisant claquer trois fois son pouce sur les doigts de son interlocuteur. C’est ainsi que le roi nous recevait ordinairement, mais les chefs les plus puissants n’approchent de lui qu’avec les marques d’un respect avilissant, en se prosternant à terre le front dans la poussière. Même, hors de sa présence, lorsque l’on vient à prononcer fortuitement son nom, ou que l’on passe devant l’un de ses palais, on lui donne ces marques de servile bassesse.

Le roi de Dahomey peut d’un signe de sa main faire tomber sous le sabre du minghan la tête la plus assurée en apparence, mais il n’est pas à l’abri des révolutions de palais. Ghézo lui-même doit la couronne à une conspiration militaire ; il a été porté au pouvoir par les amazones révoltées contre son propre frère. La succession au trône se fait par ordre de primogéniture ; cependant il arrive quelquefois que cet ordre se trouve interverti, si quelqu’un des fils du roi a su gagner, au détriment de son aîné, la faveur des grands et de l’armée qui l’élèvent au premier rang par acclamation. Le poids du système gouvernemental repose presque en entier sur la tête du méhou ou premier ministre, chargé de recevoir pour le roi les deniers publics et de surveiller l’administration des chefs. Le pays est divisé en plusieurs provinces (comme celles de Wydah et d’Ardrah par exemple), gouvernées chacune par un avoghau ou vice-roi. Ces officiers relèvent directement du méhou, l’informent de tout ce qui se passe dans leur province, et prennent ses ordres pour accorder ou refuser aux étrangers la permission de pénétrer dans le royaume. Ils lui doivent compte du produit des taxes qui frappent les marchandises ou l’huile de palme à leur passage dans les villages où sont établies les douanes royales (déciméro, en langage du pays, c’est probablement un mot d’origine portugaise), comme celles que nous vîmes à Alada, à Cana, à Tafoo. De plus, ils fournissent au roi, quand il veut faire la guerre, le nombre de soldats qu’il demande, ou qu’ils peuvent réunir. Ces troupes sont commandées par les cabéceirs, chefs d’un rang inférieur, soumis aux avoghans, et administrant les villages des provinces gouvernées par ceux-ci. Ces officiers de

  1. Puisque ce mot revient sous ma plume, je vais en donner une courte explication.

    Une fois par an, les Avoghans et les Cabéceirs viennent à jour fixe apporter au roi les tributs, en cauris ou en marchandises, qui constituent ses revenus. Leur réunion à Abomey donne lieu à de grandes fêtes, analogues à celle que le roi nous donna, et pendant lesquelles il fait distribuer au peuple et aux soldats des vivres, de l’eau-de-vie et la plus grande partie de ce qu’il vient de recevoir. C’est au milieu de la surexcitation et de l’ivresse de ces jours d’orgie populaire que se consomment les horribles sacrifices humains qui coûtent la vie à des centaines d’esclaves, immolés dans le but de conjurer la colère des divinités malfaisantes.