Page:Le Tour du monde - 07.djvu/278

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’elles entretiennent à l’aide de petits cadeaux et de sucreries. Comme les vierges du Soleil auxquelles elles se rattachent par des liens de famille, les religieuses de Cuzco vivent chastement confinées à l’ombre de leurs froides murailles, et bien qu’à l’exemple de leurs sœurs d’outre-Cordillère, elles confectionnent parfois pour un public payant, des crèmes, des beignets et autres friandises, elles n’invitent jamais, comme celles-ci, leurs proches et leurs amies à venir les manger chez elles.

Femme du peuple, à Cuzco.

Ces dissemblances morales et physiques entre les communautés de Cuzco et d’Arequipa nous semblent tenir à des questions d’altitude, de climat et de race. Arequipa, situé dans une vallée verdoyante, jouit d’une assez douce température et d’un ciel presque toujours serein. Son voisinage de la côte du Pacifique et ses relations journalières avec les étrangers, durant une période de trois siècles, ont dû expurger une partie du sang indien des veines de sa population d’élite et le remplacer par assez de sang espagnol, anglais, allemand, français, italien, pour que l’idiosyncrasie de cette dernière ait été changée et que son épiderme soit passé de la nuance de brique cuite à celle de rose citrin.

Cuzco, par sa situation géographique, n’a pu jouir des mêmes avantages. Situé à cent lieues de la mer et à douze mille cinq cent cinquante-huit pieds de son niveau, entouré d’arides montagnes, attristé par un climat froid et un ciel nébuleux, sa population n’a eu jusqu’à ce jour avec la civilisation et surtout ses représentants, que des relations passagères, et a conservé à peu près intacts ses mœurs primitives, son idiome particulier et la nuance de sa peau.

Nous aurions pu développer plus longuement cette comparaison entre Arequipa et Cuzco ; mais nos minutes sont comptées, et le lecteur voudra bien se charger de ce soin. Nous ajouterons seulement que, de la différence géographique et climatologique qui existe entre les deux cités, résulte un sentiment d’aigreur hostile et mutuelle dans leurs populations. Les citoyens grands et petits des provinces du littoral, comme les corporations religieuses, traitent d’Indiens pouilleux (Indios piojosos) ceux de la Sierra qui, de leur côté, les qualifient de lapins blancs et de mangeurs de crème (Yuracuy et Masamoreros).

Femmes indiennes, à Cuzco.

Malgré la réclusion sévère des religieuses de Cuzco et leur indifférence à l’endroit du monde, la calomnie, qui ne respecte rien, a tenté maintes fois de souiller ces vases d’élection et de ternir sous son haleine immonde ces miroirs de pureté. Les nonnes de Sainte-Catherine, en particulier, ont été comme Sion, en butte aux flèches de l’impie.

Lors de notre premier voyage à Cuzco, on accusait ces saintes filles de descendre chaque soir dans la rue, à l’aide d’une corde à puits, une manne d’osier qu’elles remontaient ensuite, et dans laquelle venaient se blottir tour à tour des officiers du bataillon de Pultunchara. La calomnie ajoutait que l’évêque, pour couper court à tout propos, avait fait murer la fenêtre du couvent qui donnait sur la rue. De pareils on dit sont au-dessous des commentaires et soulèvent l’indignation des cœurs vertueux. Si nous les relatons ici, c’est que notre tâche de narrateur nous fait un devoir de tout dire.

Ce même couvent de Sainte-Catherine, par un hasard étrange, est bâti sur l’emplacement qu’occupait autrefois l’Accllhuaci ou maison des vierges, consacrées au culte d’Hélios-Churi. Les statuts établis par Sinchi-Roca, au douzième siècle, condamnaient la vierge adultère à être enterrée vive, comme les vestales romaines, et punissaient de mort son complice, en remontant jusqu’à la troisième génération. Depuis l’introduction du christianisme, les