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mémoire à l’éternel et monotone ridicule d’un éloge officiel. Il n’était pas bourgeois gentilhomme à ce point. C’est donc l’académie que je soupçonne de ce péché d’ennui. Elle devrait le supprimer.

L’académie de Sorö a cent quatre-vingt-trois élèves, dont soixante-quatre sont internes. Elle occupe l’emplacement d’un ancien monastère dont les portes, vénérables par la vétusté des voûtes, subsistent encore.

L’église de l’académie a des proportions charmantes de roman et de gothique. Elle renferme des dalles funéraires fort anciennes. Elle a deux christs en bois, l’un du douzième siècle, l’autre du seizième. Ces statues si différentes ont un même accent. Après avoir été doux dans le supplice, le Christ l’est dans la mort.

J’ai examiné les tombes de l’évêque Absalon, de son grand-père Huide et des générations diverses de cette famille, la bienfaitrice de l’académie. Il y a là une chaire de 1650 fort curieuse, bien qu’un peu lourde, et un sépulcre de Waldemar Atterdag dont je retracerai ailleurs la légende.

Ce qui m’a le plus captivé à Sorö, c’est le lac.

Il a deux lieues de tour et semble dessiné à plaisir par un grand artiste. Il est entouré de bois, surmonté de petites collines au penchant desquelles des maisons de paysans blanchissent ou rougissent parmi les arbres.

Les vagues du lac sont larges, profondes, multicolores. Les jeux de l’ombre et de la lumière sont merveilleux dans tout l’horizon, dont le lac est le centre harmonieux. Il est d’une grâce surprenante. Plutôt qu’une académie, on rêverait un Paraclet avec Héloïse ou un Rosenborg avec Christine Munch.

De Sorö à Röskilde, la Séeland a un aspect d’églogue comme la Fionie. Une vaste plaine, tantôt prairies, tantôt champs de blé, tantôt forêts : peu de villages, beaucoup de maisons à un petit porche et à deux ailes, voilà l’île nouvelle. Les paysans disséminent leurs habitations, au lieu de les concentrer autour de l’église. Cela est très-bon ; car le propriétaire ou le fermier, toujours à portée de son domaine, le travaille d’autant mieux. Aussi la culture de la terre est-elle non moins soignée en Séeland et non moins parfaite que celle des jardins.

Des lacs, soit encadrés, soit couronnés de futaies, ajoutent aux autres beautés de la nature la beauté incomparable de l’eau. Ces lacs sont découpés avec prédilection dans des courbes inépuisablement variées par le paysagiste divin qui a dentelé autour des îles les rivages. Ici un promontoire, là une baie. De loin à loin, des collines modelées en cônes, un presbytère, un clocher, un château, achèvent les perspectives.


V

La ville de Röskilde. — Son église. — Les tombeaux des rois. — Christian Ier. — Copenhague. — Sa situation. — Sa population. — Ses monuments : palais, églises et musées.

Röskilde était autrefois la capitale du Danemark.

Elle avait vingt-sept églises et elle n’en a plus qu’une : son ancienne cathédrale.

Cette cathédrale, fondée en 980 par Harald à la dent bleue, est le Westminster et le Saint-Denis des rois de Danemark. Saxon le Grammairien y est enterré parmi les princes.

Le tombeau qui m’a le plus arrêté est celui de Marguerite, qu’on appelle la Sémiramis du Nord. Elle réunit sous son sceptre, par le traité de Calmar (1397), le Danemark, la Norvége et la Suède.

Christian Ier est enseveli sous ces voûtes, dans une chapelle. Ce fut en 1448 que les États du Danemark lui décernèrent la couronne. Il fut le fondateur de la dynastie d’Oldenbourg, qui occupe encore le trône. Ce prince était un géant féodal de plus de six pieds. Sa taille est marquée à l’une des colonnes de la vieille église. Sa longue épée est incrustée dans le mur.

La chapelle la plus splendide contient les tombes de tous les monarques de la maison d’Oldenbourg, excepté celles de Jean, de Christian II, de Frédéric Ier, de Christian IV. Les deux sépulcres les plus magnifiques de cette magnifique chapelle sont ceux de Christian III et de Frédéric II ; les autres sépulcres, parmi lesquels ceux des derniers rois Christian VII, Frédéric VI et Christian VIII, sont plus simples. Le plus simple de tous a une chapelle particulière, et c’est celui de Christian IV. Les restes de ce prince, le grand homme de la dynastie d’Oldenbourg, ne sont pas dans le monument surmonté d’une statue en bronze sculptée par Thorwaldsen ; non, le corps de Christian repose au fond d’un coffre recouvert de velours et d’argent, dans le caveau où l’on conserve aussi sa bonne épée de marin, de général et de roi.

Je suis sorti de l’église funéraire avec le sentiment profond de la vanité des grandeurs humaines. Des dynasties entières ne sont plus, après très-peu de temps, que des poignées de cendres. Rien ne survit que l’âme. Faisons-la donc héroïque ici-bas. Nous n’aurons que ce que nous mériterons, et notre ciel sera celui que nous aurons construit sur cette terre dans des ébauches successives de vertu et de génie. Notre idéal sera réalisé, petit ou grand, selon nos œuvres et nos pensées.

Tout en songeant ainsi, je me suis retourné, et j’ai retrouvé avec ravissement la cathédrale, le chœur, le clocher, la toiture de cuivre noir-vert sur l’édifice de briques. Cette cathédrale de Röskilde domine la baie nommée Isse-Fiord comme la cathédrale de Cologne domine le Rhin. Je suis descendu à la mer par une délicieuse avenue de platanes et je me suis assis sur le sable. La baie était pressée d’une ceinture d’écume, peuplée de légendes païennes et chrétiennes, sillonnée de barques et de navires, pavoisée de bannières, et, malgré cet air de fête, triste comme la mort dans l’éternelle lamentation de ses flots.

J’ai quitté Röskilde au soleil couchant et j’ai salué Copenhague au soleil levant.

Sorö a douze cents habitants, Nybord en a trois mille, Odensée quinze mille, Altona quarante mille, Röskilde quatre mille. Ce sont des villes provinciales. La ville souveraine a cent cinquante mille âmes. C’est Copen-