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mêmes, sont plus ruineuses que meurtrières, et le paysan qui dort au pied de la montagne serait bien heureux s’il craignait pour sa vigne aussi peu que pour sa peau.

Par malheur, ces beaux spectacles que je vous ai décrits fort incomplétement sont souvent accompagnés de tremblement de terre. Les secousses ébranlent toutes les pentes du Vésuve jusqu’à la mer, et détruisent quelquefois d’un seul coup des villes florissantes, dont elles balayent au loin les populations. Il nous reste à voir le plus récent de ces terribles désastres.

Nous allons donc, si vous le voulez bien, dégringoler du cône que je vous ai fait si péniblement gravir. Il faut une heure au moins pour y monter, dix minutes au plus pour en descendre. On n’a qu’à se laisser dévaler sur la pente sablonneuse et à bien tenir son corps en arrière, de peur que le poids de la tête ne vous fasse culbuter dangereusement. À chaque pas, vous glissez de vingt pieds si vous le voulez, sur cette cendre qui s’éboule avec vous et, sans vous porter, vous entraîne. Vous surnagez ainsi sur un Niagara de poussière, rarement debout, presque toujours assis ou couché sur le dos, quand vous ne roulez pas de côté comme les paillasses de la foire. Je ne vous conseille pas d’avoir sur vous des objets ou des muscles fragiles, car on rencontre beaucoup de pierres cachées dans ce sable ou vous cascadez si bravement ; plus d’un, je vous en avertis, y a laissé un membre ou deux qui lui ont manqué toute sa vie.

Carte de la région du Vésuve bouleversée par les phénomènes volcaniques de décembre 1861 à février 1862.
G, G, G. Bouillonnements de la mer le 3 décembre 1860.

Enfin, sans accident, je l’espère, nous arrivons au pied du cône. Nous commençons par ôter et par vider nos bottes, où toute une collection de minéralogie s’est insinuée frauduleusement ; puis nous remontons sur nos chevaux, bonnes vieilles bêtes qui feraient mauvaise figure au bois de Boulogne, mais qui marchent hardiment sur les scories et se frayent, sans trébucher, à travers les roches, des sentiers où vous n’iriez pas sur vos deux pieds. Au bout d’une heure vous êtes à Résine, et de Résine à Torre del Greco dans un temps de galop.

C’était, il y a quelques mois, la ville la plus propre, la mieux peuplée de la province de Naples ; elle fabriquait des coraux dont elle fournissait l’univers. Vingt mille âmes environ y vivaient tranquillement au pied du terrible voisin qui avait déjà détruit plusieurs fois leur commune. Sans remonter à plus d’un siècle en arrière, le 21 avril 1737, « un courant de lave, dit le président de Brosses, qui écrivait le fait deux ans après, vint aboutir à Torre del Greco, heurta la muraille du couvent des Carmes qu’il eut bientôt renversée, entra dans la sacristie et dans le réfectoire, où il ne fit qu’un fort léger repas de tout ce qui s’y trouva ; de là il traversa le grand chemin, et vint s’arrêter sur le bord de la mer à six heures du soir. »

Un demi-siècle après, en 1794, l’éruption fut terrible. La rivière de lave, large de quinze cents pieds, haute de quatorze, courut trois milles et demi, puis s’avança six cents pieds dans la mer. L’ambassadeur anglais, sir William Hamilton, monta dans une barque, le troisième jour de l’éruption, pour voir cette muraille ardente ; à trois cents pieds à la ronde, la lave faisait fumer et bouillonner l’eau, qui montait à une hauteur étrange, sur un point surtout, où se rencontraient deux courants. Jusqu’à deux milles de là les poissons périrent, même les fruits de la mer (on nomme ainsi