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ployé les termes de respect qu’on emploie à l’égard des prêtres, un des assistants aux dents noires lui dit d’une façon assez impertinente : « Quoi ! est-ce que vous adorez les poon-gyis ; pourquoi alors n’avez-vous pas rendu à celui-ci les hommages que vous lui devez ? — Parce qu’aujourd’hui n’est pas un jour de culte, » répliqua l’envoyé. Cette réponse excita un rire général dans tout l’auditoire.


La ville de Pagán. — Myeen-Kyan. — Amarapoura.

À mesure que nous approchons de Pagán, le fleuve semble grandir. La rive orientale est magnifique de végétation. Ce n’est qu’une succession continue de vallons richement boisés, de bouquets d’élégants palmiers abritant des villages ; c’est un contraste frappant avec la rive opposée, qui ne présente qu’une série de collines stériles, dénudées, dont l’apparence est d’autant plus désolée que les îles qui surgissent à leurs pieds sont couvertes d’une épaisse verdure.

Nous voici enfin à Pagán ; d’abord un dôme immense apparaît, c’est le Tsetna-phya ; ensuite des pyramides éclatantes qui, étagées les unes sur les autres, surmontent des toitures resplendissantes de dorures ; des temples sombres, étranges, avec leurs bases carrées, d’où s’élance un clocher en forme de mitre ; puis enfin des coupoles blanches, noires, bizarres, fantastiques, se dessinant au milieu des maisons, des palmiers, des champs et des jardins.

Voici venir les canots de guerre, les parasols dorés, les rameurs qui hurlent, les danseurs frénétiques, la musique assourdissante ; c’est le gouverneur de Pagán, le Myitsing-woon, espèce de grand shérif de l’Irawady.

Les temples apparaissent de plus en plus nombreux, les villages se montrent de toutes parts ; de tous côtés, sous des arbres majestueux, une population qui fourmille ; enfin nous laissons tomber l’ancre devant Pagán, et, comme d’habitude, près du théâtre.

L’escorte du Myit-sing-woon était la plus nombreuse que nous ayons encore vue. Dans son canot il avait cinquante hommes armés d’épées ; une vingtaine portaient des fusils de tout calibre, mais tous à deux coups, plusieurs même de ces équipages portaient un uniforme. Nous comptâmes trente canots, qui en moyenne avaient trente hommes à bord. Enfin environ deux cents cavaliers, montés sur des petits chevaux campagnards, parmi lesquels il y avait plus d’une jument suivie de son poulain, nous attendaient sur la plage. Notre mouillage était des plus pittoresques. Près de nous, sur le bord du fleuve, s’élevait un temple, petit, il est vrai, mais d’une construction très-originale : son dôme avait la forme d’un œuf, le gros bout en l’air, et était surmonté d’une simple flèche.

Cet œuf pose sur une terrasse de chunam ou chaux qui est faite avec des coquillages ou du corail blanc ; elle descend jusqu’à la rivière par une série de murs en talus, dont les parapets sont couronnés d’un cordon de trèfle mystique. En arrière une châsse de bois sculpté et doré, et un thein en brique avec son clocher pyramidal, s’étagent l’un derrière l’autre. Ce thein est d’une richesse et d’un fini d’exécution rares actuellement chez les Birmans.

De la rivière, cet ensemble d’architecture était si fantastique, si étrange, qu’en le voyant, on aurait pu se croire dans un monde nouveau.

Pagán nous causa à tous un profond étonnement. Aucun des voyageurs qui nous avaient précédés ne nous avait préparés au spectacle de ruines aussi vastes, aussi intéressantes. C’est à Pagán, dans les décombres de la vieille cité, que le 8 février 1826, l’armée des Birmans, commandée par le malheureux Naweng-Chuyen (le roi du coucher du soleil), livra son dernier combat aux Anglais envahisseurs.

Intérieur d’une pagode.

Les ruines de Pagán couvrent, le long du fleuve, un espace de treize kilomètres de long sur trois kilomètres de large. Le nombre des temples ruinés ou en bon état est de huit cents, peut-être même de mille. Il y en a de toute espèce : pagodes en forme de cloche, en forme de bouton, en forme de potiron ou d’œuf ; Dagobahs, Chaityas, Bo-phyas[1], tout s’y trouve réuni, avec toutes les variantes que comportent d’ailleurs ces différents types. Ces constructions, presque toutes sur le même plan, affectent la forme cubique : à l’intérieur une grande chambre avec des voûtes gothiques ; à la principale entrée, grand porche qui fait saillie ; à l’orient, deux portes latérales ; le plan a la forme d’une croix ; le bâtiment s’élève en terrasses successives pour se terminer par une flèche, le plus souvent une espèce de pyramide renflée vers le milieu. Ces constructions sont en briques revê-

  1. Dagobah est le nom donné aux temples de Ceylan ; il signifie, en sanscrit, réceptacle des reliques. On suppose généralement que notre expression de pagode est une corruption de ce mot. Chaitys désigne les temples bouddhistes ; Bo-phya est le nom des pagodes en forme d’œuf ou de potiron.