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au charme simple et pénétrant, aux rares passants, où la vieille guimbarde jaune de Savigny-les-Beaune roule avec un bruit de ferraille, le cocher soufflant dans son cornet.

Çà et là, quelques maisons gothiques, à pignon et ventrues, et qui remontent au xiiie siècle. Une maison située rue de la Charité, dite la « maison romane », dont le rez-de-chaussée a été défiguré, mais qui a conservé, au premier étage, sa façade à colonnettes de pierre, appartiendrait au xiie. La plupart de ces maisons étaient jadis, comme les toits de la Cour intérieure de l’Hôpital, couvertes de tuiles de couleur vernissées ; quelques fragments de ces toitures ont subsisté. Puis des logis de la Renaissance, à mascarons, à palmettes et à coquilles, et de beaux hôtels des xviie et xviiie siècles.

Par des portes à claire-voie, on aperçoit des cours intérieures, tapissées de lierre, fleuries de lauriers-roses, d’hortensias bleus et de blanches hémérocalles, aux feuilles luisantes comme des toiles cirées. De petites places cocasses, avec des bancs, sont plantées de petits arbres, tondus en boule, semblables à des jouets d’enfants. Et places, cours, maisons, qu’elles soient gothiques, de la Renaissance ou contemporaines du Grand Roi, tout est comme enveloppé de léthargie, engourdi d’un sommeil surnaturel. Arrêtez-vous cependant quelques instants à lire votre Joanne, installez-vous à photographier une porte ou une façade, et observez. Un rideau se soulève, puis deux, puis trois, puis quatre. Des figures apparaissent, automatiquement dirait-on, derrière les vitres des fenêtres. Des nez s’aplatissent, des yeux s’écarquillent. Les habitants sont là. Pas un de vos mouvements n’échappe à leur curiosité. La demoiselle du magasin de modes quitte son comptoir. Le coiffeur, délaissant ses barbes, arrive, sa savonnette à la main, se planter sur sa devanture. Chacun veut voir l’étranger et savoir ce qu’il fait. Ces maisons closes sont, en réalité, des maisons de verre.

Plus bellement solitaires sont les Vieux Remparts, que l’on retrouve un peu partout autour de la ville, dominant en terrasse les gouffres de verdure de leurs fossés profonds, humides de sources et de ruisseaux. Plantés eux-mêmes de platanes tigrés, dont les feuilles tombées, jamais balayées, craquent sous les pieds, entrecoupés d’escaliers, ils évoquent avec leurs bancs de pierre des visions de femmes lamartiniennes et pensives, en longue robe noire à fourreau, et leur lévrier auprès d’elles.

Une folie de vandalisme les a, maintes fois, menacés déjà, sans l’excuse même d’une quelconque utilité pratique, car la ville, franchissant depuis longtemps leur encerclement, développe librement ses faubourgs autour d’eux vers l’infini de la campagne et des vignes dorées, au sol roux. Mais en France, hélas ! le temps des criminelles destructions n’est pas encore passé.

Paul Gruyer.



UN VIGNERON BEAUNOIS.