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étoilées de fleurs, rouges de fruits à la saison des mûres, emplies d’un incessant gazouillis d’oiseaux. Les rochers sont bas, et il y a, çà et là, de grandes descentes de sable parsemées de pavots jaunes aux feuilles grasses et bleues. À l’horizon, l’île de Groix se dresse comme une table de pierre au-dessus des flots. L’air est doux, apporte un arôme de fleurs avec l’odeur saline.

Au moment des séjours que je fis au Pouldu et à Quimperlé, le village et la ville avaient un caractère particulier qu’il est inutile de céler, l’orgueil national dût-il en souffrir. La petite ville et la station de bains constituaient une manière de colonie anglaise, régulièrement établie, qui aurait pu avoir son consulat et son pavillon.

Les hôtels de Quimperlé étaient occupés par des familles anglaises, par des jeunes filles anglaises accompagnées de leurs gouvernantes. Une bonne moitié de la place, quand ce n’était pas la place tout entière, était prise par John Bull, son épouse et ses enfants, et John Bull vivait ici comme en Australie et aux Indes. Il a le sens du cosmopolitisme, et il le prouve dans un coin de tranquille petite ville bretonne où il est en villégiature, aussi bien que dans la région où il gouverne au nom de Sa Majesté, empereur et roi. Il est partout à l’aise, il passe pour avoir le sens de son « chez lui » intime, de sa maison discrète, et il apparaît, au contraire, que ce « chez lui », il le trouve partout, et que toutes les places sont bonnes pour installer la théière et manger le roast-beef.

Au Pouldu, c’était l’envahissement, comme à Quimperlé, mais plus complet, d’une mise en scène plus confortable. L’Anglais préfère sans doute ce climat à celui de Londres et de ses alentours : aussi vient-il respirer ici pendant toute l’année. Il a sa maison, son bateau, sa voiture, il bat la côte, il parcourt la forêt ; partout on aperçoit son chapeau blanc, son voile vert, son complet à carreaux. Car il se donne, par orgueil d’affirmation sans doute, l’apparence de l’Anglais classique de nos vaudevilles, et il amène avec lui des femmes et des enfants, qui exagèrent, comme lui, l’anglomanie. Et voilà comment, dans le pays des gais sabots et des beaux tabliers, on rencontre aussi tant de grandes filles costumées en bébés de Kate Greenaway, et qui s’en reviennent, beaucoup trop gravement, d’une séance d’aquarelle ou de la chasse aux papillons.

Il y a une raison pour que la villégiature anglaise prenne tout de suite une apparence de solide installation, pour que notre voisin d’Outre-Manche s’entende à naturaliser la petite ville, l’hôtel, le bord de la mer, où il lui plaît d’élire domicile, pour peu ou beaucoup de temps. Ces mœurs particulières achèvent de mettre en valeur le sentiment du home tant célébré chez les Anglais et par ceux qui parlent de l’Angleterre. Il existe bien, en effet, ce sentiment, mais pas seulement à la façon intimiste, poétique et romanesque qui est passée dans l’opinion de tous. Il est autrement étendu, généralisé, universel. Le home, c’est l’endroit où l’Anglais se trouve. D’où il ressort, avec la dernière évidence, que la mer, surtout, lui apparaît comme son chez-soi, où les autres nations sont bien osées de prétendre. Il est assez aisé de reconnaître comment ce sentiment a pu être inné et toujours se développer en lui. La double explication tient à la situation géographique de l’Angleterre, à son rôle dans le monde, et aussi au sens du réel qui est une des caractéristiques de la nation trafiquante.

BATEAUX SARDINIERS, À CONCARNEAU.

La maison-mère est une île. Il a fallu, de toute nécessité, aux hommes établis là, à l’écart des autres peuples, conquérir leur fortune sur l’eau. Leur développement continental s’est trouvé empêché, en Europe ;