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d’ailleurs, lui demander de gagner un prix. Nous longeons le Gouët, « rivière de sang » bordée d’aulnes, barrée à cet endroit pour alimenter le générateur d’une usine, puis un superbe parc garni de grands arbres, une ferme précédée d’une avenue de hêtres géants, et bientôt nous pénétrons dans la campagne. Le soleil se dévoile, le paysage s’éclaire de toutes parts. Le feuillage des arbres, lavé par les averses qui ont sévi toute la nuit, est vert sombre. Ce sont des châtaigniers, des sapins buissonneux. On aperçoit la butte Saint-Michel, cotée 320 mètres, qui domine la vallée de l’Oust, dont les deux sources descendent de la Croix et du Frouet. Le paysage est taché des meulettes rouges du sarrasin, ombragées de pommiers aux fruits rouges et jaunes. Toute la partie du terrain comprise entre l’Oust et la route de Pontivy à Guingamp présente un immense moutonnement de verdure, coupé çà et là par des clairières où luisent des étangs perdus dans les landes. On ne peut imaginer un spectacle où la nature ait accumulé plus de fantaisistes contrastes.

L’entrée à Corlay cause une vive impression de pittoresque. Les ruines du château se reflètent dans un étang. C’est le Haut-Corlay, distant du bourg de 1 kilomètre. Corlay, — corr lai, cour des nains, — se trouvait, au xvie siècle, sous la dépendance des Rohan, vassaux de la principauté de Guéméné. En 1592, la garde de Corlay fut confiée par Mercœur à des troupes espagnoles qui l’entourèrent de tranchées, ce qui ne l’empêcha pas d’être enlevé, en 1593, par les Français sous les ordres de Sourdéac. L’année suivante, le terrible ligueur Fontenelle surprit le château et le bourg, ravagea le pays et s’y fortifia au point qu’il fallut toute une partie du corps d’armée du maréchal d’Aumont pour l’en chasser. Le château, qui fut le décor de fond de tous ces événements, avait été commencé en 1195 par le chevalier Henri de Corlay. Abattu une première fois pendant la guerre de succession de Bretagne, il fut relevé, en 1495, par Jean de Rohan. Il avait la forme d’un losange, flanqué de quatre tours et précédé d’un donjon appelé la Tour des Amours, le tout entouré de fossés remplis d’eau. La fuite, en cas de siège, y était assurée par deux souterrains, dont l’un menait à Castel-Coz et l’autre au parc Ar-Golifet. La tour principale était la prison, où des fouilles pratiquées il y a environ un demi-siècle mirent à nu des ossements humains et des armes. On raconte qu’à l’époque où il était au pouvoir de Fontenelle, celui-ci, qui aimait les fêtes, donna un bal où l’affluence était telle que le plancher s’affaissa, et que le féroce ligueur, qui devait mourir en place de Grève, se cassa une jambe. Deux légendes sur ce château de Corlay. La première a trait à la femme de Fontenelle, dont l’ombre apparaît chaque année, le jour de Noël. On la reconnaît à son air triste, à sa démarche dolente de veuve inconsolée. Pour l’autre, on prétend qu’un étranger ayant obtenu, peu d’années avant la Révolution, l’autorisation de visiter les souterrains, s’y serait engagé muni d’une chandelle et n’aurait jamais reparu, ne serait sorti ni par Ar-Golifet, ni par Castel-Coz.

MARCHAND DE POTERIES, UN JOUR DE MARCHÉ À CORLAY.

Le portail de l’église de Corlay n’est pas dépourvu d’élégance. Il date de 1575. C’est devant ce portail que, chaque dimanche avant la messe, s’installe un petit marché de beurre, d’œufs, de lait, de poteries. Ce sont les marchands du temple, dont l’installation remonte à des époques reculées. Cette pratique a lieu dans beaucoup d’autres paroisses des Côtes-du-Nord, notamment à Uzel, l’Hermitage, Grâce, Saint-Caradec, etc. Mais la gloire de Corlay, c’est, plus que partout ailleurs, l’élevage des chevaux, dits doubles bidets de montagnes, qui sont le produit d’une race ramenée dans le pays à l’époque des croisades. Des courses, bien entendu, sont organisées plusieurs fois par an. Les douze foires annuelles ont pour objet la vente de ces chevaux, richesse du pays tout en prairies, la culture presque totalement négligée. Les routes sont sillonnées de cavaliers qui dressent des montures et s’exercent à l’équitation. Pays de centaures. Les jeunes gens que l’on rencontre ont presque tous le costume local : large chapeau, veste Louis XVI s’ouvrant sur un gilet à double rangée de boutons,