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Tout autour de moi, à perte de vue, c’est la forêt de Paimpont, la forêt de Brocéliande des trouvères et des poètes. Sa surface est réduite aujourd’hui à 6 000 hectares, après avoir occupé un espace de trente lieues de long sur quinze lieues de large. Elle comprenait tout le territoire situé entre Quintin, Fougères, Dinan et Redon. C’est assez dire que toute la largeur de la Bretagne était barrée par une forêt. C’est là que se réfugient les derniers druides fuyant devant le christianisme. C’est là que se passent tous les hauts faits attribués aux chevaliers de la Table Ronde, ordre fabuleux, créé vers la fin du ve siècle à York, par Uther, roi chrétien, et son fils Artus, sur les conseils de Merlin l’Enchanteur.

Le premier narrateur de la légende des chevaliers de la Table Ronde serait Robert Wace, qui vivait au xie siècle. Les ouvrages des romanciers de la Renaissance suivirent : Tristan de Léonnois, Perceforest, Lancelot du Lac, San Graal… Lancelot, fils de Ban, roi de Brucie, descendant de Joseph d’Arimathie, fut élevé par la fée Viviane, la Dame du Lac, dédaigna la fée Morgane, se prit d’amour pour la belle Geneviève, femme du roi Arthur, et connut les malheurs qu’entraîne la passion. Le saint Graal est le vase où Jésus-Christ but le vin, à la dernière Cène, et qui fut conservé par Joseph d’Arimathie avec quelques gouttes du sang du Christ, recueillies le jour de son supplice. Comment Joseph d’Arimathie, après avoir enseveli son maître en Judée, serait parti pour l’île de Bretagne avec la précieuse coupe, c’est le mystère et le motif de la légende. Joseph quitte la Grande-Bretagne, vient en Armorique, au profond de la forêt de Brocéliande, et disparaît après avoir fondé, en souvenir de la Cène, un banquet où il réunit douze convives autour d’une table carrée. Le roi Arthur transforme la table carrée en table ronde, élève à cinquante le nombre des convives. Ce sont les chevaliers de la Table Ronde, qui se mettent à la recherche du vase au pouvoir surnaturel.

La légende de Merlin l’Enchanteur est liée aux précédentes. Il serait né, vers 460, d’un démon et d’une vierge chrétienne de l’île de Bretagne. Instruit par saint Loup, évêque de Troyes, qui était venu évangéliser l’Angleterre, barde à la cour du roi Uther, ami du prince Arthur, le libérateur de l’Armorique, l’Enchanteur se retire dans la forêt lorsque le prince, trahi, laissé pour mort, a été emporté par les fées dans l’île d’Avallon, où il dort sous leur garde en attendant l’heure où il doit s’éveiller pour délivrer à nouveau la Bretagne. Merlin, pendant ce temps, errant parmi les clairières, rencontre, près de la forêt de Barenton, Viviane, fille du châtelain de Comper, dont la demeure s’élève non loin, au bord d’un étang. Tous deux s’assoient sur une pierre où ils restent jusqu’à la nuit, échangeant leurs serments d’amour, Merlin promet à Viviane, en échange de sa tendresse, de l’initier à la science. C’est la fable du Paradis Terrestre qui reparaît, le dialogue entre Ève et le tentateur. Chaque année, le jour de la Saint-Jean, le barde et la jeune fille se retrouvent sur la pierre, auprès de la fontaine. C’est Merlin qui est vaincu, Viviane, qu’il a rendue savante, Viviane devenue la fée Viviane, emporte son amant dans son château, où tous deux doivent rester endormis jusqu’au réveil d’Arthur.

LA PYRAMIDE DU COMBAT DES TRENTE.

Je trouve la fontaine Barenton et la pierre où Merlin et Viviane chuchotaient au crépuscule. Je trouve le tombeau de Merlin, un cromlech entourant une dépression de terrain remplie d’eau, bordée de joncs et de plantes aquatiques. La fontaine coule au nord de la Haute-Forêt, près Concoret. Ses eaux avaient jadis un pouvoir miraculeux. Aujourd’hui encore, on les invoque pour obtenir de la pluie, et lorsqu’elle mugit, c’est que l’orage approche. Au xve siècle, une ordonnance du comte de Laval, relative aux « usements et coustumes de la forest de Brecilien », rend hommage aux propriétés magiques de la fontaine. Elle était placée sous la surveillance d’un « géant noir, n’ayant qu’un pied et qu’un œil », qui était en même temps gardien de la forêt et pasteur des animaux qui y vivaient. Il était aux gages du « Seigneur de la forêt et de la fontaine. » Une dalle en marbre était près de la source, et sur cette dalle un bassin d’argent retenu par une chaîne du même métal. Lorsqu’un passant emplissait la coupe et répandait l’eau sur la dalle, le vent mugissait, le tonnerre grondait, la grêle tombait, cinglant et hachant les feuilles d’un grand arbre voisin. Après l’orage, une nuée d’oiseaux s’abattait sur l’arbre, le remplissant de cris et de chants, et tout à coup apparais-