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PLOËRMEL : MAISON DU XVIe SIÈCLE, AUX TERMES ORNÉS DE FEUILLAGE.

De Ploërmel, je vais à la forêt de Paimpont. J’ai le choix entre la voie ferrée, jusqu’à Néant ou Mauron, et la route qui me mène à Paimpont même, par Plélan et les Forges. J’ai choisi le premier trajet bien que le second itinéraire m’ait semblé plus impressionnant ; mais comment résister à visiter un village qui a pour nom Néant ? Je n’ai rien trouvé là, mais on conviendra que le contraire eût été surprenant, et décevant. À quelques kilomètres, à Tréhoranteuc, au milieu des rochers, sont la butte et le jardin des Touches, et la sépulture d’une fée du viiie siècle. À Mauron, bourg célèbre par la bataille entre les troupes de Montfort et celles de Blois, j’étale ma carte et dresse mon itinéraire pour explorer la forêt. Quoique les signes de la topographie n’aient plus guère de secrets pour moi, je dois me méfier des erreurs d’angles des chemins forestiers. Je m’engage tout d’abord sur la route, bordée de sapins buissonneux, puis par un chemin qui s’amorce sur la gauche, à La Sourdrais, où la maison d’école se dresse, presque seule, à l’ombre d’un bouquet d’arbres. Un espace découvert à franchir, une sorte de monticule dallé de granit, où croissent çà et là des bruyères, et je gagne l’ombre de la forêt. J’ai la surprise alors du hameau délicieux de Folle-Pensée, quelques maisons au bord d’un ruisseau, parmi le feuillage, la fraîcheur et le silence. Un bruit de pas, pourtant, trouble la solitude. Une vieille femme surgit, toute poudrée à blanc de farine ou de plâtre, car je n’arrive pas à comprendre si elle fait son pain ou répare sa maison. C’est la fée du viiie siècle, peut-être, qui est revenue. Elle est d’ailleurs la douceur et la bienveillance mêmes, et quand je lui ai expliqué que je ne sais pas très bien où je vais, ni même où je veux aller, elle m’indique fort gentiment, avec un bon sourire dans sa face blanche, les sentiers qui mènent partout et ceux qui ne mènent nulle part. J’opte pour un chemin raviné, creusé d’ornières, hérissé de quartiers de granit rouge. Je me demande d’abord comment les chariots peuvent passer là sans s’y briser, mais bientôt la route devient meilleure, une bonne chaussée solide à travers la brousse.

Je quitte et je reprends cette chaussée. Je monte sous bois, parmi les pins vieux et rabougris, les chênes tordus, les fins bouleaux, les buissons de poiriers sauvages armés de longues épines, les bouquets de ronces, de houx, d’églantiers. Si le feuillage n’est pas haut et abondant, la flore est variée à l’extrême, les corolles de toutes couleurs et de tous parfums disputent leur vie aux fougères et aux hautes herbes à travers lesquelles il faut se frayer un chemin. Je quitte ce fouillis odoriférant, je reprends l’allée qui me conduit, sinon au centre de la forêt, du moins à son point culminant, un plateau où le croisement de diverses avenues forme un carrefour rayonnant autour d’un poteau indicateur, au pied duquel je m’assieds.