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ni des rivières, ni des villages, tout a été enseveli et comblé de cendres, après que le feu eut dévoré les maisons dans une conflagration aussi furieuse que celle de Saint-Pierre. Cependant, dans cette région, les habitants ont pu se sauver à temps, à l’exception d’un petit nombre de malheureux qui ont péri.

Dans les deux localités, je vois les restes de sucreries, dont quelques pans de murs seuls sont debout, et dont la ferraille tordue et rouillée émerge du chaos. Tout près de l’usine de Richmond, se dressent les ruines de l’habitation du propriétaire. Nous avons, à certains endroits, de véritables dunes à escalader ; les cendres ont atteint des hauteurs inimaginables. M. Macdonald m’en montre qui peuvent bien avoir une douzaine de mètres. La plupart de ces monticules s’élèvent comme de petits pitons sur un terrain autrefois complètement plat ; plus loin j’observe d’immenses nappes de cendres, boursouflées d’ondulations et présentant de larges et profondes fissures produites par les pluies torrentielles des derniers mois de l’année. Elles ont été transformées, en d’autres endroits, par les pluies d’abord, et par un ardent soleil ensuite, en un mortier dur et résistant. C’est un spectacle tout à fait différent de ce que présentent les environs du Prêcheur, qui ressemblent plutôt à certaines plaines africaines. Des rivières qui existaient dans ces parages, il ne reste plus aucune trace. Elles ont été remblayées par les apports des nuées ardentes, augmentées sans doute par l’action du vent qui a chassé dans les dépressions toutes les cendres tombées sur les pentes voisines. Il s’est produit dans cette région, et en particulier à Walibou, de curieuses explosions secondaires, dues à l’arrivée des eaux pluviales sur ces matériaux meubles, ayant conservé une haute température. Les passagers d’un bateau du Royal Mail, longeant la côte à la fin de mai au moment d’une de ces explosions, ont cru assister à des coulées de laves se précipitant dans la mer.

Mon cicerone me donne beaucoup de détails sur la série des cataclysmes qui, pendant des mois, se sont abattus sur l’île, qu’il n’a pas quittée, et qu’il a parcourue dans différentes directions depuis la première éruption de mai. Toute la partie nord a été détruite et peut se comparer à un immense terrain vague ; c’est là qu’habitaient encore les descendants de la vieille race caraïbe, dont quelques rares représentants se trouvent aussi à Sainte-Lucie et à la Dominique. Le 7 mai et les jours suivants, la pluie d’eau bouillante et de cendres n’a, pour ainsi dire, pas discontinué. L’eau de la mer était tellement chaude dans les parages de Saint-Vincent qu’un batelier a rapporté que, se trouvant à 2 milles de distance de la côte nord, il a failli se brûler la main, en voulant se rendre compte de sa température. D’immenses quantités de poissons morts formaient, à la surface, des traînées de plusieurs milles. Ils ont dû être tués, comme à la Martinique, par des éruptions sous-marines.

ÉRUPTION À SAINT-VINCENT. — D’APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Les éjections du volcan, en septembre, ont été de différentes natures. En dehors des « lapillis » et des cendres, des pierres et des conglomérats, on a vu descendre du principal cratère un véritable torrent de matière jaunâtre, consistant principalement en soufre. Cette masse liquide a dévalé de la montagne en multiples zigzags et s’est engouffrée dans la mer en produisant, en raison de l’élévation de sa température, un sifflement sonore et des nuages de vapeur. La mer était jaune sur un immense espace et ressemblait, la nuit, à une rivière d’argent. D’après un voyageur que j’ai rencontré à Sainte-Lucie, et qui se trouvait à bord d’un paquebot anglais, la vue des masses liquides, dégringolant des flancs du volcan, était d’un effet merveilleux. La lune et les étoiles les éclairaient d’un reflet argenté ; on se serait cru dans une station de la Suisse où, la nuit, la cascade est illuminée à l’aide de feux de Bengale. Au premier abord, cette matière en fusion était prise pour des coulées de laves ; ce n’est que plus tard qu’on a appris que dans aucune des éruptions de l’année dernière, des flots de laves ne sont sortis ni de la Soufrière, ni du mont Pelé.