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marion est d’avis que l’électricité a été en jeu, comme effet de l’éruption, mais non comme cause. Il croit que les gaz ont été du grisou, et que les victimes ont péri brûlées intérieurement pour avoir, suivant l’expression des mineurs, « avalé le feu ». Ces gaz ont dû emporter avec eux des cendres et des « lapillis », chauffés à très haute température, et contenir une grande quantité d’hydrogène sulfuré qui s’est enflammé subitement par des décharges électriques, ce qui expliquerait la conflagration générale et instantanée. Le feu a trouvé certainement un aliment puissant dans les milliers d’hectolitres de rhum que renfermaient les magasins de la ville.

ÉRUPTION DU MONT PELÉ, PHOTOGRAPHIE PRISE PAR UN TOURISTE À BORD D’UN PAQUEBOT ANGLAIS.

Dans tous les cas, il est hors de doute que pas un seul de ces malheureux n’a subi les affres de l’agonie. Ils ont été tués comme par un coup de foudre, et l’asphyxie a été instantanée : la position de certains cadavres l’indique d’une façon évidente. Les journaux ont rapporté assez d’exemples à l’appui de cette thèse, désormais indiscutable ; je pourrais mentionner encore le fait qu’un gendarme a vu le cadavre d’une femme assise sur un tabouret, en train d’éplucher une banane, et que, devant la maison d’un médecin, on a trouvé la voiture renversée contre la façade, le cheval à moitié carbonisé, debout sur ses jambes, et le cocher renversé contre l’une des roues de derrière. La chaleur développée par la conflagration générale a dû atteindre des proportions inouïes. Les objets en verre et en porcelaine, que les fouilles ont mis à jour, fondus à moitié, tortillés et réduits en pâte, sans toutefois présenter la moindre brisure ou échancrure, ont adopté les formes les plus bizarres. Les faïences ont reçu un reflet métallique qui rappelle la fabrication moderne des vases du golfe Juan, et sous les décombres on a trouvé des assiettes, des tasses, des bols, blancs d’origine, mais imprégnés de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel.

Les premiers géologues qui ont exploré les ruines de Saint-Pierre furent les professeurs Hovey et Heilprin d’Amérique. Le jour même où le télégraphe apporta la lugubre nouvelle, on s’émut à New York et une réunion de savants eut lieu le lendemain ; on affréta un bateau, et, le 14, M. Hovey partait à la tête d’une mission scientifique qui débarqua à la Martinique le 19. On fit quatre fois l’ascension du volcan. M. Heilprin, de son côté, arriva fin mai et monta par deux fois jusqu’au cratère. La mission française n’est arrivée que le 20 juin.

M. Heilprin, des plus connus par ses travaux géologiques, a consacré une grande partie de sa carrière à l’étude des volcans, tant au Mexique et au Guatémala que dans les autres régions volcaniques de l’Amérique. Je traduis de son rapport, publié immédiatement après son retour, ces phrases : « Le passage du nuage gazeux, ou plutôt de la trombe dévastatrice, doit avoir eu sur l’atmosphère l’effet d’un cyclone ; les ruines de Saint-Pierre en portent les traces évidentes. Il est difficile de déterminer la part qu’ont prises les explosions électriques dans l’anéantissement de la capitale. Il est incontestable que ces explosions ont eu lieu ; les métaux et les poteries portent les traces probantes du passage électrique. »

Ce savant présume que les événements qui se sont produits ont dû occasionner d’assez importants soulèvements ou abaissements du sol marin. On a fait très peu de sondages sérieux jusqu’aujourd’hui dans le voisinage de la Martinique, de Saint-Vincent et d’autres îles, et les quelques recherches pratiquées tendraient à prouver qu’aucun changement sensible ne s’est produit dans le niveau des fonds voisins des côtes. Il n’en est pas moins vrai que, sur la côte du Mexique, on vient de constater la présence d’un bas-fond à un endroit où la sonde indiquait une profondeur de 800 mètres avant les éruptions de 1902. M. Heilprin déclare que la mer des Caraïbes couvre la partie la plus fragile de la croûte terrestre, et que le golfe du Mexique ne doit son origine qu’à un immense effondrement survenu