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Là, n’admirant plus rien d’autre, je m’arrêtai pour découvrir si lesdits ventaux étaient mus ainsi tout à coup, doucement et à propos par quelque contre-poids ou par tout autre moyen. J’en vins à admirer une conception divine. Dans la partie où les portes se joignaient l’une à l’autre pour former la fermeture à languette[1], à l’intérieur, était fixée, en plein métal très-poli, une lame de fin acier. Puis, sur une largeur égale au tiers de la hauteur, en excellent aimant Indien presque pareil au diamant, ami de Calysto[2], profitable aux yeux des hommes[3], mortel au scordion[4], favorable singulièrement aux navigateurs, se montraient deux tables bleues, — ainsi qu’il convient que soit cette substance — lisses, brillantes, très-proprement scellées dans l’épaisseur du marbre formant l’ouverture, c’est-à-dire dans cette partie contiguë aux antes de cette porte du plus bel art.

Donc, par la puissance attractive de l’aimant, les lames d’acier étaient attirées et, par conséquent, les portes s’ouvraient d’elles-mêmes avec une lenteur tempérée. C’était là une œuvre excellente, non-seulement pour charmer la vue, mais encore pour suggérer une réflexion subtile et sans fin. Sur la table d’aimant sise à la droite de l’entrée était gravé, en antiques lettres Latines, ce mot célèbre de Virgile : TRAHIT SUA QVEMQVE VOLVPTAS[5]. Sur la table du côté gauche, je vis cette élégante inscription en vieilles majuscules Grecques : ΠΑΝ ΔΕΙ ΠΟΙΕΙΝ ΚΑTΑ ΤΗΝ

  1. C’est ce que nous nommons battant à double feuillure.
  2. Prise ici pour le Nord, parce qu’elle forme dans le ciel la constellation de la Grande Ourse.
  3. Pline, XXXVI, 16.
  4. Ou scordetis, découverte, dit-on, par Mithridate qui, selon Lenæus, l’aurait décrite. Le père Hardouin décide que c’est la stachys de Dioscoride (III, 120.)
  5. Églog. II, v. 65.