Page:Le Roman de Tristan et Iseut, renouvelé par J. Bédier.djvu/270

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raison s’est enfuie de cette tête, c’est vous, belle, qui en êtes cause. N’est-ce pas vous qui deviez garder le breuvage que je bus sur la haute mer ? J’en bus à la grande chaleur, dans un hanap d’argent, et je le tendis à Iseut. Vous seule l’avez su, belle ; ne vous en souvient-il plus ?

— Non ! » répondit Brangien, et, toute troublée, elle se rejeta vers la chambre d’Iseut ; mais le fou se précipita derrière elle criant : « Pitié ! »

Il entre, il voit Iseut, s’élance vers elle, les bras tendus, veut la serrer sur sa poitrine ; mais, honteuse, mouillée d’une sueur d’angoisse, elle se rejette en arrière, l’esquive, et voyant qu’elle évite son approche, Tristan tremble de vergogne et de colère, se recule vers la paroi, près de la porte ; et de sa voix toujours contrefaite :

« Certes, dit-il, j’ai vécu trop longtemps, puisque j’ai vu le jour où Iseut me repousse, ne daigne m’aimer, me tient pour vil ! Ah ! Iseut, qui bien aime, tard oublie ! Iseut, c’est une chose belle et précieuse