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M. DE LAMARTINE.

Pour couronner l’œuvre, et l’absoudre de ses gravelures, à chaque page vous sentez palpiter la défense des libertés civiles, politiques et religieuses. Instruction saine, austère et élevée de la jeunesse ; réforme des finances et de la procédure ; haine acharnée aux hypocrites, voilà ce qu’elle prêche encore avec l’autorité d’une haute raison, sous une forme populaire.

Rabelais, après tout, ainsi que Brantôme et tant d’autres, n’a fait que parler la langue de son siècle. Alors l’amour ne battait pas des ailes dans la brume des lacs ; il avait des sens, de la gaieté, et chantait gaillardement après boire au doux cliquetis des verres. Pauvre Cupidon ! que de métamorphoses ! chaque époque t’affuble de sa livrée, te peint de ses couleurs, toi le tyran des dieux et des hommes. Dès l’origine tu fends l’air comme un oiseau, un carquois sonore sur les épaules. Puis sous la figure d’un ange, tu agites dévotement les ailes dans les églises ; tes doigts ruissellent d’eau bénite, et tes regards mi-clos font trembler bien des missels. Nous te voyons bientôt, coiffé d’une toque galante, parcourir cavalièrement les ruelles : tes habits de velours et de satin sont brodés de coups de poignard, tes mains fines, vermeilles de sang ; mais l’odeur du sang est alors plus goûtée que les parfums de l’Arabie : elle ouvre la porte de tous les boudoirs. Tu te déguises ensuite tour à tour en abbé, en brigand, en poitrinaire ; tu prends un crêpe élégiaque, un air fatal ; enfin, un petit fumet de cadavre finit par te devenir indispensable. — Et aujourd’hui, comment te voulons-nous ? N’en déplaise à messieurs les poëtes de 1830, tu marcheras sans détour dans un chemin uni, en brave et digne garçon, sans scandale ni pruderie, avec un air honnète, et tes ailes, si elles sont encore de mode, ne planeront que sur les âmes appareillées.

Mais, tandis que M. de Lamartine se montre si sévère pour le docte Alcofribas-Nasier, de quel voile charmant il couvre les élégances du comte de Grammont ! Notez que ce chevalier (avant de devenir comte, Grammont était chevalier, par droit de naissance d’abord, et ensuite par droit d’industrie) ; ce chevalier, dis-je, savez-vous de quoi il se vantait ? Tout simplement de rendre de cent manières ce qu’il ne prenait que d’une seule. Vous me direz qu’il est plus difficile de disposer de l’argent du prochain que du sien propre… Je l’avoue, mais accordez-moi en retour le droit d’appeler l’ami de Saint-Évremont un homme peu délicat et dangereux à fréquenter.

Quant à Saint-Evremont lui-même, Chaulieu et Hamilton, quels illustres philosophes ! Certes leur devise mérite sans doute de traverser en lettres d’or les siècles futurs. Jugez-en, car la voici à peu près : recherche exclusive de toutes les voluptés de la vie, corrigées par la plus grande insouciance. On meurt autour de vous, les sept plaies dévorent le monde, n’en faites pire chère :


Esclave, apporte-moi des roses,
Le parfum de la rose est doux.