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L’ANNÉE DES COSAQUES..

— Marguerite, je vous aime de toutes les forces de mon âme, et vous me dites de vous quitter !

— Monsieur, ne me faites pas repentir de vous avoir sauvé la vie. Plus un mot pareil à celui que vous avez dit tout à l’heure, ou je croirais que vous vous moquez. Vous êtes un grand seigneur, je ne suis qu’une pauvre fille ignorante, mais je sais parfaitement qu’il ne peut y avoir rien de commun entre vous et moi. Levez-vous donc, monsieur ; je vous ai soigné, je n’ai fait que mon devoir ; oubliez-moi et continuons à vivre chacun de notre côté. Cependant si le souvenir de la jeune fille qui vous a guéri peut faire que votre bras frappe moins fort dans les mêlées, et que votre épée entre moins avant dans les poitrines qui vous feront face, conservez-le ce souvenir et je serai assez récompensée de ce que j’ai fait pour vous.

— Tu me dis de conserver ton souvenir, chère Marguerite ! Ah ! je te jure que ce cœur cessera de battre et que je serai caché sous la terre avant que ton image adorée cesse de voltiger devant mes yeux ravis. Écoute-moi, Marguerite, c’est un Dieu qui a voulu qu’il en fût ainsi. C’est lui qui m’a pris par la main et qui m’a mis ainsi à tes genoux.

Le jeune homme, en parlant, s’était peu à peu laissé glisser aux pieds de la jeune fille. — Dis, réponds ; n’est-ce pas un Dieu qui m’a tiré de mes forêts pour m’amener ici à tes pieds à travers les hasards de cent batailles ? N’est-ce pas lui qui a mis dans ton sein la douce pitié, la charité généreuse pour cet ennemi étendu mourant sur le gazon du village où tu as joué tout enfant ? n’est-ce pas lui qui fait luire sur nos têtes ces étoiles charmantes qui nous regardent en souriant ? Ah ! Marguerite, ne pense point à nos deux berceaux si éloignés l’un de l’autre par un caprice du sort, nous sommes maintenant rapprochés et pour toujours. Tu es belle, tu es jeune, tu as eu pitié de moi, tu me regardes avec des yeux bleus pour lesquels je donnerais ma vie ; et moi, je suis jeune, je suis à tes pieds et je t’aime ! Je t’aime et je n’ai pas une pensée qui ne s’envole vers toi et ne t’entoure de tendresse et d’adoration. Marguerite ! Marguerite ! regarde autour de toi, sur ta tête, à tes pieds. Autour de toi ces grands chênes qui étendent leurs bras pour nous défendre ; sur ta tête un ciel où Dieu sourit aux transports des amants ; et à tes pieds un cœur jeune, plein de vie et d’amour. Crois-moi, nous ne sommes ici-bas que pour nous aimer. Dis-moi un mot, un seul, et je te jure que j’oublierai tout : compagnons, famille et patrie, pour vivre et mourir ainsi sous ton regard.

La jeune fille avait entendu avec effroi d’abord la parole impétueuse de Georges qui débordait sur ses lèvres en torrents de feu ; puis, enveloppée de cette poésie, heureuse de ce dévouement si pur qui se donnait à elle, charmée par ce langage nouveau pour elle de la passion élégante, elle avait écouté avec ravissement. Malgré elle et à son insu, son regard brillait de joie ; ses joues s’étaient colorées d’une divine rougeur, et, opprimée par je ne sais quel bonheur enivrant