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CHRONIQUE.

L’automne sera triste cette année ! Les fleurs se fanent, les feuilles tombent et les hommes s’en vont emportés par le vent de la mort. Avec eux, hélas ! si grands qu’ils aient été jadis, s’enfqit le souvenir de leur gloire et de leurs vertus ; on oublie même jusqu’à leurs vices, on reste indifférent, et c’est par habitude, non par respect, qu’on ôte son chapeau devant les cercueils qui passent. J’ai déjà jeté quelques fleurs sur quelques tombes ; il me faut aujourd’hui encore, avant de courir les nouvelles gaies et curieuses, saluer les dernières dépouilles de trois hommes, tous célèbres à leur manière, tous honnêtes, courageux, bienveillants. Ma tristesse est cette fois moins vive. Deux sur trois étaient des vieillards ; ils avaient eu le temps de goûter la vie et d’accoutumer leur âme à l’idée de la mort. L’autre, plus jeune avait passé la moitié de ses jours à sonder les problèmes sans fond, et il avait peut-être hâte d’apprendre si sa raison l’avait trompé, ou s’il avait deviné quelque chose dans le monde de l’infini ! Celui-là s’appelait Auguste Comte, fondateur du positivisme.

Prêtre d’une philosophie nouvelle, comme tous ceux qui se sont dit ou se diront apôtres, beaucoup moqué, sifflé, bafoué. Et, j’avoue pour ma part n’avoir jamais compris un mot de ses livres. Tâcher de les expliquer, M. Littré y a perdu son latin sans compter les vingt autres langues qu’il sait.

M. Boissonade ! celui-là du moins, pendant le cours de sa longue carrière, ne s’est pas égaré sur les terrains vagues. Travailleur consciencieux, modeste, dévoué, il a élevé la grammaire à la hauteur d’une géométrie sublime, et les paroles qu’a écrites sur ce brave homme M. Nisard, ces paroles d’éloge, simples et de douce amitié, étaient bien méritées. Le vieux savant vivait depuis longtemps à l’écart. Quand il a senti venir la mort, il ne s’est pas plaint, il a dit : c’est la règle et il a fermé les yeux.

Le dernier ne fut pas célèbre, il n’appartint à aucun cénacle et ne fut d’aucune académie. Pourtant il savait la grammaire, puisqu’il a écrit quelques livres vraiment dignes de la lecture, et fait de l’art pendant un demi-siècle.

Louis Garneray, le peintre de marine, est mort dimanche dans sa soixantequatorzième année. Il était à bord du brick la Confiance commandée par Surcouf, quand elle attaqua le Kent. Le combat fut grand, terrible, sublime. Louis Garneray était peut-être le seul qui pût encore raconter aux lhommes d’aujourd’hui