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LE PRÉSENT.

devoir faire le plus petit correctif à sa louange ; il étend sur le cadre destiné à Furetière, dans sa galerie de portraits académiques, le crêpe noir des doges décapités et ne daigne pas même faire connaître la liste de ses ouvrages, non moins. importants cependant que ceux de Du Bois, de Barbier d’Arcourtou de l’abbé de Lavan. Titon du Tillet, qui dans son Parnasse français a consacré de pompeuses notices à tant d’écrivains médiocres, se borne à quelques lignes et se met à l’abri derrière les on dit, sans oser remonter aux sources.

Après l’avoir déshonoré, on tenta de le supprimer. Ainsi s’explique l’oubli où sont tombés son roman et ses poésies, quoique bien dignes de leur siècle.

La Fontaine est le seul écrivain d’un mérite reconnu que Furetière ait attaqué sans ménagement. Mais cette animosité qui le pousse il diffamer La Fontaine, à le charger des accusations les plus honteuses, et jusqu’à reproduire’a la suite de sesfactums la sentence de police portant la suppression des Contes, avait pour cause la rancune la plus excusable et la plus légitime, la rancune de l’amitié trahie. La Fontaine, de même que Boileau et Racine, était pour Furetière un ancien ami Sa parenté d’esprit n’est pas moins frappante avec lui qu’avec Boileau, Molière et l’auteur des Plaideurs. Dans la préface d’un recueil de fables, publié trois ans après celle du grand fabuliste, Furetière avait loué La Fontaine. Il l’avait loué franchement, hautement, et l’éloge était d’autant plus méritoire qu’il s’adressait à un rival et à un rival heureux. À l’origine de la querelle, nous avons vu La Fontaine accompagnant Racine et Boileau dans une démarche tentée pour réconcilier Furetière avec l’Académie. Malheuseusement, moins fidèle, ou moins brave, La Fontaine, une fois la glace rompue, se sépara d’eux et rejoignit le parti académique. Cette défection, dans une cause où il y allait de son honneur et de sa réputation, fut sentie par Furetière comme elle devait l’être par un homme d’un tempérament ardent, et toujours frémissant. Ce n’est pas d’aujourd’hui que l’on a remarqué que les hommes les plus enclins à la satyre sont les plus sensibles à l’injure. La Fontaine, on le sait trop, par son caractère et par ses mœurs prêtait à la censure. Comment Furetière se serait-il contenu ?

Qu’on ne l’oublie donc pas, ces violences tant reprochées à Furetière ne furent que des représailles. Il faisait rudement la guerre, mais il ne la cherchait pas. Jamais, lors même qu’il poursuivait si vivement La Fontaine, lorsqu’il attaquait le mauvais père, le débauché, le parasite, le faux ami, jamais il ne revint sur les éloges qu’il avait donnés au poëte, et dans ses Anas, publiés après sa mort, La Fontaine est encore traité de grand génie. Ses attaques contre l’Académie ne devinrent personnelles que lorsqu’il lui fut démontré qu’il n’avait plus à attendre de ses anciens confrères ni impartialité, ni transaction honorable.

Mais après avoir lu ce qui nous reste de pièces de cet étrange procès, il doit être hors de doute pour tout homme de bonne foi que Furetière, en entrant à l’Académie, avait renoncé à toute arrière-pensée d’un travail personnel. Il était heu-