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FURETIÈRE ET L’ACADÉMIE FRANÇAISE.

« De là ils en vinrent à l’examen des cahiers, que Furetière avoit confiés à M. le premier président (Novion) : et par la confrontation de plusieurs endroits, il fut convaincu d’avoir employé la méthode, les définitions (!!), les phrases de 1’Académie, sans aucun changement, ou avec des changements si légers ou si visiblement affectés, qu’ils le démasquoient encore mieux. — Il parut si décontenancé, que les commissaires, dans l’état où ils le voyoient, crurent ne pouvoir sans inhumanité, etc… »

En effet, si Furetière fut convaincu, ce jour-là, d’avoir textuellement copié le travail de l’Académie, s’il fut pris, comme on dit, la main dans le sac, il dut se sentir perdu, et ne plus songer qu’à se faire oublier par le silence, ou par la fuite.

Mais non ! Dès le lendemain, cet homme si abattu, si humilié, se met à crier de toutes ses forces ; il veut des juges ; il veut être entendu. Il fait circuler des essais de son Dictionnaire avec une dédicace au roi, dans laquelle il se plaint du tort fait aux lettres par le monopole académique. Il se croit si peu convaincu de plagiat, qu’il veut montrer son livre à tout le monde, et qu’il ne craint pas d’en faire imprimer des extraits en regard du texte de l’Académie !

L’Académie l’exclut : il la prend à partie ! Il lui demande : de quel droit ?

Si j’appartenais, dit-il, à une corporation de marchands ou d’ouvriers, n’auraisje pas un recours tout naturel auprès des prévôts ou des syndics ? « Ne faut-il pas qu’un chapitre s’adresse à son official, que les communautés s’adressent aux juges ordinaires pour leur faire plainte des actions de ceux dont ils blâment la conduite ? Ces messieurs veulent tout au contraire être juges souverains tant de la personne que des ouvrages de tous les académiciens ! »

Mauvaises raisons sans doute ! et nous l’avons assez fait voir. Mais Furetière était de ces hommes qui ne passent condamnationsur rien.

Au reste, cette exclusion n’était pas ce qui lui tient le plus au cœur. Il ne proteste qù’en passant et seulement autant qu’il faut pour démontrer une fois de plus la malveillance de ses confrères. Et d’ailleurs, après s’être tant moqué des jetonniers, après tant de mépris qu’il a fait voir pour la compagnie, il ne pouvait décemment montrer beaucoup d’attachement à en faire partie.

Mais ce qui lui importe bien autrement, ce qui lui tient vraiment au cœur, c’est son livre ; c’est sa réputation d’écrivain et d’érudit, c’est la preuve que ce livre qu’on lui conteste était bien à lui, bien de lui, et de plus qu’il était bon.

— Vous m’excluez ? dit-il, soit ! Vous m’accusez d’avoir violé vos priviléges ? prouvez-le ! Mais moi, je prouverai que votre livre ne vaut rien, je dirai qui vous êtes, je raconterai comment vous l’avez fait ! Je mettrai au grand jour votre incapacité et vos bévues, et je prouverai à tout le monde, au roi votre protecteur, d’abord, puis au public et à toute l’Europe que vous ne gagnez pas votre argent, et que loin de vous avoir volé j’étais plutôt capable de vous enrichir.

Cette sommation continuelle, ce défi que Furetière adresse à l’Académie, cet