descendit en courant et se jeta bravement dans une grande boîte montée sur roues qu’on lui signala comme faisant le service des campagnes environnantes. Son voisin du coupé l’attendait près du marchepied et ne voulut monter qu’après lui.
— Il est du pays, se dit Arsène, il n’a pas si mauvais air…
— Ce monsieur va certainement à Laverdie, pensait le bonhomme. Alors c’est qu’il n’est pas fou.
— Quant à moi, monsieur, je ne viens que de Lisieux, reprit le bonhomme aussitôt que la boîte se fût mise à rouler. — Il poursuivait l’innocente conversation qu’il avait entamée une demi-heure auparavant, avec si peu de succès. — On ne perd pas un frère…
— Sans qu’il faille voyager un peu, fit Arsène.
Le bonhomme releva la tête. — Mon Dieu, oui, dit-il gravement, c’est un grand chagrin dans une famille, quand un homme n’y attend pas la volonté de là-haut… Mon frère s’est détruit, et si je vous le dis, monsieur, c’est que vous allez dans le pays et qu’on ne manquera pas de vous en parler. Cette mort-là a fait tant de bruit que tout le monde l’a sue, jusqu’au roi.
Arsène eut une inspiration. — S’est-il bien tué lui-même, s’écria-t-il ?
— Je suis Jean Moreau, répliqua tristement le bonhomme.
Arsène tressaillit.
— Mon frère était Baptiste Moreau… Ah monsieur, je vois bien que vous aussi vous connaissez l’histoire, puisque vous demandez si c’est mon frère lui-même…
— Elle se nomme Moreau ! murmura le dandy !… Et c’est là son beau-frère !
— Monsieur vient dans le pays pour s’y fixer, demanda le bonhomme ?
Arsène sourit. — Peut-être, dit-il.
— On y fait beaucoup de poterie, reprit M. Moreau, le terroir en est bon et la culture bien soignée. Oh ! vous y trouverez plus d’une maison à vendre ; mon frère, par exemple, nous en a laissé une…
— Votre frère était un excellent homme, murmura tristement le bel Onfray.
Jean Moreau se mit à hocher la tête. — Vous ne le connaissiez pas beaucoup ?
— Et votre belle-sœur se nomme ?
