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LE PRÉSENT.

V

Il ne faut pas croire que nous soyons débarrassés de toute difficulté. L’esprit le moins accoutumé à ces subtilités esthétiques saurait bien vite m’opposer cette objection insidieuse : Le rire est divers. On ne se réjouit pas toujours d’un malheur, d’une faiblesse, d’une infériorité. Bien des spectacles qui excitent en nous le rire sont fort innocents, et non-seulement les amusements de l’enfance, mais encore bien des choses qui servent au divertissement des artistes n’ont rien à démêler avec l’esprit de Satan.

Il y a bien là quelque apparence de vérité. Mais il faut d’abord bien distinguer la joie d’avec le rire. La joie existe par elle-même, mais elle a des manifestations diverses. Quelquefois elle est presque invisible ; d’autres fois, elle s’exprime par les pleurs. Le rire n’est qu’une expression, un symptôme, un diagnostic. Symptôme de quoi ? voilà la question. La joie est une. Le rire est l’expression d’un sentiment double, ou contradictoire ; et c’est pour cela qu’il y a convulsion. Aussi le rire des enfants, qu’on voudrait en vain m’objecter, est-il tout à fait différent, même comme expression physique, comme forme, du rire de l’homme qui assiste à une comédie, regarde une caricature, ou du rire terrible de Melmoth ; de Melmoth, l’être déclassé, l’individu situé entre les dernières limites de la patrie humaine et les frontières de la vie supérieure ; de Melmoth se croyant toujours près de se débarrasser de son pacte infernal, espérant sans cesse troquer ce pouvoir surhumain, qui fait son malheur, contre la conscience pure d’un ignorant qui lui fait envie. — Le rire des enfants est comme un épanouissementde fleur. C’est la joie de recevoir, la joie de respirer, la joie de s’ouvrir, la joie de contempler, de vivre, de grandir. C’est une joie de plante. Aussi, généralement, est-ce plutôt le sourire, quelque chose d’analogue au balancement de queue des chiens, ou au ronron des chats. Et pourtant, remarquez bien que si le rire des enfants diffère encore des expressions du contentement animal, c’est que ce rire n’est pas tout à fait exempt d’ambition, ainsi qu’il convient à des bouts d’hommes, c’est-à-dire à des Satans en herbe.

Il y a un cas où la question est plus compliquée. C’est le rire de l’homme, mais rire vrai, rire violent, à l’aspect d’objets qui ne sont pas un signe de faiblesse ou de malheur chez ses semblables. Il est facile de deviner que je veux parler du rire causé par le grotesque. Les créations fabuleuses, les êtres dont la raison, la légitimation ne peut pas être tirée du code du sens commun, excitent souvent en nous une hilarité folle, excessive, et qui se traduit en des déchirements et des pâmoisons interminables. Il est évident qu’il faut distinguer, et qu’il y a là un degré de plus. Le comique est, au point de vue artistique, une imitation ; le grotesque,