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L’ANNÉE DES COSAQUES.

Georges s’approcha d’elle en chancelant, et lui remit dans la main le papier qu’il lui avait enlevé. Marguerite le baisa et sourit.

— Dites, qu’en faire, Georges ? reprit madame de Lautages.

— Mais, ma mère, c’est bien simple, dit Clotilde. Voyez, elle a la fièvre et le délire ; ce serait un meurtre de la laisser ici par une pareille matinée. Nous ne sommes qu’à huit lieues de chez nous, elle supportera bien la voiture, ramenez-la et nous la ferons soigner.

— Georges, c’est vous que j’interroge, répondez-moi.

— Madame, vous avez entendu cet ange, dit Georges en montrant Clotilde.

— Eh bien soit ! mettez-la derrière la voiture.

— Derrière la voiture, ma mère, elle y mourrait de froid ; mais nous tiendrons très-bien quatre à l’intérieur, n’est-ce pas, Georges ?

— Merci, merci, mademoiselle, dit Georges en lui serrant la main.

La faiblesse de Marguerite était telle qu’il fallut la porter dans la voiture. Elle y monta dans les bras de Georges et de Clotilde, et la chaise reprit le chemin de Saint-Just. Mademoiselle de Lautages prit de Marguerite les plus grands soins ; elle enveloppa ses pieds presque nus dans une pelisse qu’elle avait sur elle ; elle jeta sur ses épaules frissonnantes un manteau doublé d’une ouate bien douce.

— Oh ! la chaleur, c’est bon, disait Marguerite en se pressant contre la jeune fille. Elle ne paraissait point reconnaître le prince, et tomba bientôt dans un sommeil profond qui ne se dissipa que quand la chaise de poste s’arrêta à la porte du château de madame de Lautages.

Depuis le jour où nous avons perdu de vue Marguerite enlevée par son frère à l’amour du prince, la pauvre fille avait bien souffert. Elle avait retrouvé toutes vivantes et debout contre elle les haines qu’elle avait cherché à fuir par son départ pour Paris. Non-seulement son absence ne les avait point éteintes, mais la prise de Pierre par Ostrowki avait été unanimement regardée comme un nouveau crime de Marguerite vendue aux Russes. La grâce de Pierre arrivée quelque temps après était l’effet d’un remords tardif, et que prouvait-elle d’ailleurs, sinon qu’on ne pouvait rien refuser à une fille qui, elle non plus, n’avait marchandé aux envahisseurs de son pays ni son amour, ni son honneur, ni même la vie de son père ?

Seule la mère Thomas n’avait fermé à la pauvre délaissée ni ses bras ni son cœur ; mais toute son affection, toutes ses bonnes paroles avaient