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LE PRÉSENT.

à l’opium et au sucre ; dans la nuit de ta chevelure, je vois resplendir l’infini de l’azur tropical ; sur les rivages duvetés de ta chevelure, je m’enivre des odeurs combinées du goudron, du musc et de l’huile de coco.

Laisse-moi mordre, mordre longtemps tes tresses lourdes et noires. Quand je mordille tes cheveux solides et crépus, il me semble que je mange mes souvenirs.

L’INVITATION AU VOYAGE.

Il est un pays superbe, — un pays de Cocagne, dit-on, — que je rêve de visiter avec une maîtresse chérie ; — pays singulier, noyé dans les brumes de notre Nord, et qu’on pourrait appeler l’Orient de l’Occident, la Chine de l’Europe, tant la chaude et capricieuse fantaisie s’y est donné carrière, tant elle l’a patiemment et opiniâtrément illustré de ses savantes et délicates végétations ;

Un vrai pays de Cocagne, où tout est beau, riche, tranquille, honnête, — où le luxe a l’air de prendre plaisir à se mirer dans l’ordre, — où la vie est grasse et douce àrespirer, — où le désordre, la turbulence et l’imprévu n’existent pas, — où le bonheur est marié au silence, — où la cuisine elle-même est poétique, — grasse et excitante à la fois, — où tout vous ressemble, mon cher ange.

Ah ! si j’étais ta Mignon, ta Mignon aimée et protégée, toujours tendre, toujours soumise, mais toujours rêveuse et désireuse, je te dirais à toi, mon poëte et mon ami : Tu connais cette maladie qui s’empare de notre esprit dans les plus dures misères, cet amour du pays qu’on ignore, cette nostalgie de la curiosité ? Il est une contrée qui te ressemble, où tout est beau, riche, tranquille et honnête, où la fantaisie a bâti et décoré une Chine occidentale, où la vie est douce à respirer, où le bonheur est marié au silence ; — c’est là qu’il faut aller vivre, c’est là qu’il faut aller mourir !

Oui, c’est là qu’il faut aller respirer, rêver et allonger les heures par la multiplication des sensations. Comme on a écrit l’Invitation à la valse, je voudrais qu’un musicien de génie se chargeât d’écrire l’Invitation au voyage, pour l’offrir à la femme aimée, à la sœur d’élection. Oui, c’est dans cette atmosphère qu’il ferait bon vivre, —là bas, où les