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LE PRÉSENT.

PANURGE.

Vous êtes honnête, c’est vrai, mais vous en avez les moyens. La faim ne vous a jamais talonné au point de mettre vos doigts en contradiction avec votre conscience. Quant à moi, seigneur, j’étais à jeun depuis quatre jours, lorsque la fatalité me mit en face d’une petite broche isolée. Devais-je donc laisser périr d’inanition une créature faite à l’image de Dieu, plutôt que de toucher à une misérable volaille ? Je paierai au centuple cet animal domestique, si l’on veut. Ajoutez à cela mon repentir sincère. — Jadis, en présence d’un retour à la vertu, on tuait le veau gras en disant : « Il y a plus de joie dans le ciel pour un seul pécheur converti que pour cent justes qui ont persévéré… » Hélas ! ces paroles si belles, personne ne les mettra plus en pratique ici-bas, puisque le plus débonnaire des hommes se détourne du remords.

PANTAGRUEL.

Il ne sera pas dit que j’ai été plus intolérant que le ciel. (Désignant Panurge.) Je réponds de cet homme : il est encore mon ami ; que personne n’y touche.

Ici tout le monde s’embrasse ; mais Panurge devine que Jean a mis la police à ses trousses, et jure de se venger. Il démontre sans peine l’hypocrisie de son rival. La coquetterie de Paquette ne lui est pas d’un mince secours.

Vous ne serez pas fâchés, puisqu’il me reste encore une page à remplir, que je mette sous vos yeux un petit rondeau. — Un rondeau ! direz-vous. — Ne faut-il pas que chaque siècle chante et danse à sa façon ?

Rondeau.

PANURGE.

Dans un repas, notre âme se réveille ;
La gaîté pousse une hilare clameur ;
L’Occasion, sans un cheveu la veille,
Nous tend la main à travers la liqueur.
Voyez, à jeun, comme Vénus sommeille ;
Mais si la table a dilaté son cœur,
L’amour frémit sur sa lèvre vermeille ;
Elle succombe et bénit son vainqueur,
Dans un repas.

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