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HISTOIRE DU RÈGNE DE HENRI IV.

Ne craignons donc point l’ennui d’une scène vide et froide. Dix générations, dix grains de poussière à peine nous en séparent, ayons le courage de les franchir. C’est entre deux crimes qu’est enfermée cette époque de troubles, de misère et de merveilleuse prospérité. Le couteau de Jacques Clément ouvre à Henri IV l’avenir que lui fermera le couteau de Ravaillac. Quelle France lui était léguée par la mort du dernier Valois et le fanatique qu’avait armé madame de Montpensier ? Une France lamentable et qui jamais, pas même aux temps des Bourguignons et des Armagnacs, n’avait été plus près de sa perte.

Vingt-sept ans de troubles et huit guerres civiles l’avaient ravagée dans tous les sens. Deux cent cinquante villages avaient été dévorés par le feu ; cent vingt-huit mille maisons avaient été détruites. L’anarchie était dans les esprits, le trouble dans les consciences. Les intérèts les plus divers tiraient en sens contraire les diverses classes de la nation. La haute noblesse songeait à reconstituer son pouvoir abattu par Louis XI et François Ier. Une partie du clergé gallican et national gémissait de toutes ces souffrances imposées au pays sous prétexte de religion ; une autre partie attisait en chaire les passions et égarait la parole de Dieu dans la mêlée des partis. La Ligue frémissait à l’idée de voir monter sur le trône un hérétique, et préparait ses processions armées. Les Seize et leurs adhérents, au sein de la Ligue qui du moins restait française de cœur, formaient comme une citadelle de rébellion et un centre d’anarchie plus compacte. Mayenne cherchait à réaliser la vieille ambition des Guises, et fondait l’espoir de sa grandeur future sur la continuation de l’anarchie. Philippe II poursuivait ses rèves de monarchie universelle, et tournait du côté de la France ses ruses, son ambition et ses soldats. Henri IV n’avait pour lui qu’un droit incontestable et contesté, les sympathies peu actives d’Elisabeth, son génie et quelques soldats fidèles. Une partie même d’entre les huguenots l’abandonna, parce qu’il promettait de se faire instruire dans la religion catholique. La Trémouille emmena avec lui neuf bataillons dans le Poitou, dont il convoitait la souveraineté. Dans ces défilés de sa fortune, Henri ne désespéra pas de lui-même, il tint la partie et la gagna.

Il avait été admirablement préparé par les rigueurs passées du sort à soutenir le choc de l’adversité présente. Quelques jours après que le poison des Médicis, non moins terrible que celui des Borgia, lui avait enlevé sa mère, il avait vu le roi de France, Charles IX, son beau-frère, le tenir au bout de son arquebuse, et le sommer de choisir entre la messe et la mort. Il avait appris dans vingt combats son métier de capitaine ; il avait vaincu déjà à Coutras ; il avait, en face du Balafré, lutté d’habileté et de prudence ; riposté à l’excommunication de Sixte-Quint par une protestation et une réserve de ses droits hardiment affichée aux portes mêmes du Vatican ; rien ne pouvait l’étonner désormais, il était prêt à tout. Bien lui en prit, car de rudes épreuves lui étaient encore réservées.

La première nécessité, c’était de mettre le pied à l’étrier. Avant de se laisser