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LE PRÉSENT.

lire, et qu’il ait pensé à sa Cahutte de mendiant dans le Finistère, il a dû me trouver injuste. J’ai rarement vu en effet, ou plutôt je n’ai jamais vu pareille sordide et incomparable misère. Deux branches d’arbres entrelacées forment la cahane, deux loques rajustées font le vêtement, une cruche cassée compose tout l’ameublement. Je m’étonne qu’il y ait des gens aussi dénués parmi ces riches et élégants Bretons que peint si bien M. Fortin.

M. Adolphe Leleux est aussi breton. Ici il nous montre une Cour de cabaret en Basse-Bretagne. Je doute que Noé lui-même, au lendemain de la vendange, ait été dans le même état que ces braves chouans dont on nous vante pourtant les vertus patriarcales. Il n’en est pas un qui ne soit gris comme le pinceau de M. Ingres, et je ne leur en veux pas trop, car leurs zig-zags et leur démarche titubante font dans cette cour un pêle-mêle vraiment pittoresque et amusant. J’en veux bien davantage, à ces Enfants effrayéspar un chien en Basse-Bretagne, de leur poltronnerie. Il est impossible de voir un animal plus paisible et plus pacifique que ce toutou qui chemine à l’angle de ce peiit bois ; rien dans sa mine n’annonce d’intentions hostiles, et en Basse-Bretagne, comme ailleurs, les petits garçons, j’imagine, sont assez habitués à voir des chiens. Pourquoi toute cette frayeur excessive ? Ils seraient face à face avec un tigre royal ou une panthère de Java, que leurs traits ne seraient pas plus décomposés et que leurs jambes ne flageoleraient point davantage sous eux. Je ne reconnais point là les compatriotes de Duguesclin et la descendance de Cathelineau ou de Stofflet. M. Adolphe Leleux n’a point qu’une patrie. Il est Breton, il est Bourguignon aussi. Voici des Pécheurs à l’étang en Bourgogne, c’est du moins le livret qui le dit. Or je vois bien des hommes aux jambes nues groupés autour d’un filet et par conséquent des pêcheurs, mais je ne vois pas la Bourgogne. Quoi ! ce ciel triste, ces quelques herbes pâles, cet étang microscopique, c’est la nature bourguignonne ! ces joncs maladifs sont du pays de la vigne ? je ne saurais le croire. Il fallait là un paysage, un cadre à ces pêcheurs, il n’y en a pas ; je le regrette ; bien entourés, ils eussent eu du caractère et de la valeur. Quant à cette Machine à battre en Bourgogne, elle est peu intéressante. Il faut laisser ces descriptions et ces peintures aux agriculteurs de profession, aux habitués des comices agricoles ; tout ce détail technique n’a rien à voir avec l’art. M. Adolphe Leleux a exposé aussi une toile qu’il appelle Petite Provence à Paris : c’est une collection de vieillards des deux sexes se chauffant au soleil sur un banc de pierre. Le beau sexe tricote, le laid (qu’il est laid, grand Dieu !) bâille et dort. Qu’a fait la vieillesse à M. Leleux pour qu’il la défigure ainsi ? Il y a de belles rides, de beaux crânes chauves et de beaux cheveux blancs ; il s’est plu à entasser ici les rides sales, les crânes dégarnis et idiots, les abat-jour verts et les casquettes de loutre déplumées. Par un contraste, cherché peut-être, deux petits chiens qui jouent aux pieds de ces affreuses créatures ont les museaux les plus spirituels du monde, les yeux les plus vifs et les pattes les