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L’ANNÉE DES COSAQUES.

semblait poursuivre sous des voûtes de nacre et de porphyre, plus hautes que les chènes les plus hauts de ses domaines, une ombre qui le regardait en souriant, lui faisait signe de loin et chantait doucement d’un son de voix plus mélodieux que toute chose au monde, et dont la brise lui apportait sur ses ailes l’écho lointain comme un parfum léger : Je suis Marguerite, la belle Marguerite, la reine des Marguerites qui croissent au ciel.

Tandis que le comte suivait ainsi dans les espaces sa Marguerite imaginaire, l’autre, la vraie, au fond du parc, derrière les marronniers, écoutait Pierre Jarry qui lui donnait des nouvelles de son père. L’honnète et malheureux garçon, après son expédition de l’Étang-Joli, avait été pris de remords tardifs. Il s’était demandé de quel droit il persécutait cette pauvre enfant qu’il disait aimer ; il s’était dit qu’il avait agi comme un fou, et qui pis est, comme un fou furieux : que si Marguerite aimait ce jeune homme, après tout, elle était bien libre, et que ce n’était pas à lui à regarder dans son cœur, et à le briser si ce qu’il y voyait choquait ses yeux. Il s’était dit encore que Marguerite devait le haïr pour tout le mal qu’il lui avait fait, et cette pensée l’avait jeté dans le plus profond désespoir. Depuis huit jours, le malheureux n’avait pas dormi. En apercevant celle qu’il se reprochait d’avoir tant fait souffrir, il l’avait serrée contre son sein et s’était jeté à ses pieds.

— Pardon, pardon, Marguerite, de tout le mal que je vous ai fait. Je suis bien coupable, mais je m’en repens, je vous assure, et j’ai été bien puni.

Marguerite émue le releva.

— Je vous pardonne tout. Je sais qu’au fond vous êtes bon, Pierre. Où est mon père ?

Pierre raconta que lui et le père Grandpré avaient été cachés ensemble dans une petite maison abandonnée, que le père Jarry avait à une lieue de là, et qu’ils attendaient pour reparaître le départ du comte et de sa troupe.

— Mon père était blessé, comment va sa blessure ?

— Mieux, mademoiselle.

— Conduisez-moi auprès de lui. Je veux le voir.

— Hélas ! mademoiselle.

— Quoi ! Que voulez-vous dire ? Parlez, je vous en conjure.

— Eh bien, votre père, quoi que je fasse, ne veut point entendre raison, et c’est en le trompant que j’ai pu venir jusqu’ici vous parler de lui. Marguerite fut atterrée de ce coup.

— Qu’ai-je donc fait pour que mon bon père me repousse ainsi ?

— Mademoiselle, ne désespérez pas. Je vous jure que je ferai tous mes efforts pour vaincre ses mauvaises idées, et j’y parviendrai, j’en suis sùr.

— Dieu vous entende, Pierre !