Page:Le Présent, année 1, tome 1, numéros 1 à 11, juillet à septembre 1857.djvu/124

Cette page n’a pas encore été corrigée
116
LE PRÉSENT.

à coup, en poussant vers le ciel, comme un cheval essoumé, un épais nuage de fumée, et sans préambule :

— Sais-tu bien qu’elle est charmante cette petite épeurée de tantôt ?

— De qui veux-tu parler ? dit Georges.

— Eh pardieu ! de ta houri aux yeux bleus ! Ne vas-tu pas faire le mystérieux avec moi ? J’ai des yeux aussi, moi, et tu en tiens, aussi vrai que j’ai nom Serge Ostrowki. Jolie fille, d’ailleurs, très-jolie fille, et si tu n’étais pas déclaré, j’en sais d’autres que toi qui n’y plaindraient pas leur peine.

— Mon cher ami, dit Georges d’un ton sérieux, pas de plaisanteries à ce sujet.

Là dessus, s’exaltant peu à peu et laissant déborder son cœur, il lui dit toute sa passion, jura qu’il n’épouserait jamais Clotilde de Lautages, et que sa femme serait mademoiselle Marguerite Grandpré.

Georges s’attendait bien à quelques soubresauts, à quelques haut-le-corps de son ami à cette révélation subite, mais il ne pouvait prévoir l’accès d’hilarité qui saisit le comte. Renversé en arrière, son cigarre tombé et fumant à ses pie ds, essayant de comprimer des deux mains les élans de gaieté convulsive qui agitaient son corps, le comte était une image accomplie, une statue animée du fou rire.

Georges mécontent le regardait.

— J’en ferai une maladie, c’est sûr, dit le comte, en revenant à lui. Où as-tu donc la tête, mon cher Georges ? En vérité, je te savais romanesque, mais pas ce point-là. Il faut te guérir absolument et au plus vite.

Georges pria son ami de lui épargner ses réflexions et de ne point renouveler ses légèretés sur un sujet qui ne les comportait point.

— Allons ! c’est assez ; si cette fille te plaît, fais en ta maîtresse !

— Vous me blessez, monsieur le comte.

— Au fait, c’est vrai, tu es vertueux, toi. Encore un de tes préjugés.

— En effet, nous ne pensons point de même sur bien des choses.

— D’honneur, cher prince, on t’a élevé comme un Moujik. Mais laisse faire ; nous allons ensemble à Paris et je te promets d’y refaire ton éducation. D’abord, je parie que la belle Marguerite est à moi avant huit jours.

— Comte, restons-en là, je vous prie.

— Je te dis que je vais te sauver de cette folie qui me semble, pardieu ! bel et bien enracinée dans ton pauvre cerveau, et pour cela, je parie, je le répète, qu’elle est ma maîtresse avant huit jours.

— Assez, assez, comte. Je vous jure que si vous dites un mot à mademoiselle Marguerite qu’une fille honnête ne puisse entendre, nous croiserons l’épée ensemble.

— À ton aise, cher prince ; mais je te prie de croire que je ne dis jamais rien à ces demoiselles que la fille la plus honnête n’entende avec le plus grand plaisir,