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LE PRÉSENT.

dans ces champs, et par groupes de trois ou quatre. En revanche, il y a peu de gibier : une ou deux perdrix à peine et un lièvre ; peu de chiens aussi pour tant de chasseurs ; et puis la plaine est trop nue, elle est immense, et on n’y voit qu’un arbre ; elle est trop unie : on fait rarement deux lieues sans rencontrer un pli de terrain. Je ferai à l’Horticulture d’autres reproches : il y a trop d’échalas et de ceps de vigne plantés sur le devant du tableau, ces myriades de petits bâtons déplaisent à l’œil. Pourquoi ne pas les avoir reculés dans le fond, et amené au contraire sur le premier plan les pommiers, les pruniers, les cerisiers avec leurs belles feuilles vertes, leur fruits blancs, bleus ou roses, avec les jardiniers perchés sur leurs branches ? Il y a trop de fleurs aussi : c’est un jardin de plaisance plutôt qu’un de ces jardins plantureux où l’on trouve bien un brin de muguet, mais aussi cent pieds de salade, où fleurissent sans doute quelques plants de roses et de lys, mais où croissent en abondance l’oseille et la laitue ; c’eût été moins mythologique, mais plus vrai, plus appétissant et plus nouveau. L’Agriculture a les mêmes qualités de vérité et de naturel que je louais dans les Glaneuses. À l’ombre rare et courte d’un bouquet de bois s’étend un champ de blé ; il est déjà en partie à terre ; des hommes continuent à le faucher, des femmes lient des gerbes, et sur la route un gros troupeau de belles vaches rouges, noires, tachetées, se rend au pâturage. La lumière, le mouvement, la vie fument, bruissent et s’agitent dans ce tableau. Pour nous reposer de toute cette chaleur, arrêtons-nous devant la Pêche. Le filet glisse dans l’eau, entraînant avec lui des branches cassées, des herbes et du poisson ; des pécheurs, jambes nues, le tirent derrière eux, et tout autour de l’étang court une fraîche bordure d’arbres, de gazon, de joncs et de glaïeuls. Si M. Hédouin eût groupé en un coin deux ou trois têtes roses d’enfants jouant avec du poisson ou attendant curieusement le retour du filet et la fortune du repas du soir, si, en un autre coin, il eût fourré deux ou trois espiègles, jambes nues comme leurs pères et traînant un filet d’herbes, de mousse et de foin ; s’il eût élevé sur les bords une cépée un peu plus épaisse de saules et de roseaux, il aurait fait un ravissant tableau ; tel qu’il est, il reste fort agréable, et M. Hédouin a fait preuve d’un véritable talent.

M. Millet a exposé, lui aussi, des glaneuses, et, dans un tout autre ton que M. Hédouin, il n’a pas moins réussi que lui. Les Glaneuses de M. Millet sont tristes à voir. Péniblement courbées vers une terre grise et avare, où quelques épis pointent à peine çà et là, les pieds chaussés de souliers éculés, couvertes d’une bure grossière, la tête coiffée d’un mouchoir qui descend sur leur front presque jusqu’aux yeux, elles suivent leur chemin, lentes et fatiguées. Toutes trois s’avancent de front ; même costume, même port, même geste, même air de résignation et de souffrance. Tout près l’une de l’autre, elles ne se parlent pas : à quoi bon échanger leur tristesse par des paroles ? Ainsi elles vont aller, muettes, jus-