Page:Le Ménestrel - 1896 - n°42.djvu/8

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
336
LE MÉNESTREL

même de l’ouvrage. C’est ainsi qu’il est très sérieusement question de donner le rôle de Zerline… à Mlle Delna. Il ne faut pas oublier que la grande Alboni a interprété, elle aussi, ce gracieux personnage, et que c’est un précédent glorieux qui peut être suffisant pour justifier la distribution du rôle à la jeune pensionnaire de M. Carvalho, encore que les oreilles françaises ne soient habituées à y percevoir que des sons menus et les yeux à y contempler que des grâces mignonnes.

— Aujourd’hui dimanche, au cirque des Champs-Élysées, concert Lamoureux, dont voici le programme :

Symphonie pastorale (Beethoven) ; Rédemption, symphonie, introduction de la deuxième partie (César Franck) ; Chansons de Miarka, poèmes de Jean Richepin, musique d’Alexandre George, chantées par Mlle Jenny Passama ; Capriccio espagnol (Rimsky-Korsakow) ; Pur dicesti, ariette composée vers 1700 (A. Lotti), chantée par Mlle Jenny Passama ; la Jeunesse d’Hercule (Saint-Saëns) ; Ouverture des Maîtres Chanteurs (Wagner).

— C’est dimanche prochain, 25 octobre, que les concerts du Châtelet feront leur réouverture sous la direction de M. Colonne. Ce premier concert sera un festival de musique française, dont voici le programme :

Georges Bizet (1838-1875), ouverture de Patrie. — Hector Berlioz (1803-1869), symphonie fantastique. César Franck (1822-1890), Psyché, poème symphonique pour orchestre et chœurs. — Édouard Lalo (vers 1830-1892), Divertissement. — Benjamin Godard (1849-1895), berceuse de Jocelyn ; violoncelle : M. Baretti. — Léo Delibes (1836-1891), le Roi s’amuse (airs de danse dans le style ancien). — Charles Gounod (1818-1893), Hymne à sainte Cécile (par tous les instruments à cordes). — Ernest Guiraud (1837-1892), Carnaval (finale de la première suite d’orchestre).

— Voici comment l’excellent critique musical de la Gironde, M. Paul Lavigne, s’exprime au sujet de la belle reprise de la Navarraise, qu’on vient de jouer au grand théâtre de Bordeaux : « On a repris hier soir, au Grand-Théâtre, l’ « épisode lyrique » émouvant, en deux actes, de MM. J. Claretie et H. Cain, si remarquablement mis en musique par M. Massenet. Selon notre habitude, que nous croyons bonne, nous n’établirons aucune espèce de comparaison entre Mme de Nuovina, l’Anita d’antan au Grand-Théâtre, et Mme Georgette Leblanc, la créatrice du rôle au Théâtre-Royal de la Monnaie de Bruxelles. Toutes les deux sont très remarquables dans ds genres différents. Mais, à coup sûr, on ne peut pas être meilleure que Mme Georgette Leblanc dans le rôle de la Navarraise, qu’elle chante et joue en artiste incomparable ; ce qu’elle y dépense de naturel, de spontanéité, d’énergie et de nerfs est incroyable. Ici, je renonce à analyser un talent si remarquable, si exceptionnel, et surtout si personnel. Ne regardant pas à déployer tous ses efforts, toute son impétuosité et toutes ses forces, Mme Leblanc atteint les effets les plus pathétique. Le spectateur est haletant devant un pareil tempérament de grande artiste. Nous n’entrons pas dans les détails, nous en aurions pour deux colonnes. Nous ne donnons que l’impression générale, très résumée mais très fidèle. Tout Bordeaux voudra voir et applaudir Mme Georgette Leblanc dans cet ouvrage, d’autant que les autres interprètes, électrisés par elle, sont tous plus que très satisfaisants. M. Sentein brûle les planches. On ne reconnaîtrait guère, dans Araquil, l’Arnold de l’autre jour ; M. Ansaldi, avec sa belle voix, joue, s’anime, court, vole ; il est transfiguré. M. Cazeneuve, M. Bédué, sans oublier M. Dekeghel, artiste dans l’âme, doivent être cités avec éloges. M. Haring conduit cette musique endiablée en chef d’orchestre rompu à toutes les innovations musicales de notre admirable Massenet. La symphonie entre les deux tableaux a été extrêmement goûtée et non moins applaudie. En somme, succès éclatant, dont le principal honneur revient à Mme Georgette Leblanc. En résumé, nous avons eu hier soir une représentation tout exceptionnelle, et qui aura, j’en suis persuadé, les plus heureuses conséquences sur l’état actuel de notre Grand-Théâtre. Mme Leblanc et M. Rieux sont deux sujets qui, à des points de vue totalement différents, vont attirer la foule ! Mireille et la Navarraise vont faire salle comble, et combien de fois ?… Pendant que, comme lendemains, on aura les représentations des autres ténors, sans se montrer le moins du monde flatteurs de l’administration, les amateurs peuvent dire que voilà, décidément, un bon et beau commencement d’année théâtrale. ».

— Avis aux compositeurs en quête d’un bon livret. MM. Jules Barbier et Paul de Choudens viennent de publier, à la librairie Calmann-Lévy, une Clarisse Harlowe qu’ils ont parachevée depuis quelques temps, et qui contient tous les éléments de pathétique, de couleur et de pittoresque que peut désirer un musicien moderne.

Mme Yveling RamBaud a repris chez elle, 10, place Bréda, ses cours et ses leçons de chant, de diction et de déclamation dramatique.

NÉCROLOGIE

J. GARCIN

C’est avec un sentiment de chagrin véritable que j’enregistre ici la mort de mon vieil ami Jules Garcin, que nous avons conduit mardi dernier à sa dernière demeure. Ce dénouement d’une longue et douloureuse maladie était depuis trop longtemps prévu pour qu’il pût étonner beaucoup, mais il n’en laissera pas moins de bien sincères regrets à tous ceux qui ont connu ce galant homme, cet excellent artiste que, chose rare, son talent et sa modestie n’avaient pas empêché d’atteindre une situation brillante. Artiste de cœur et fort instruit, esprit élevé et distingué, Garcin valait mieux encore que cette situation, qui pour lui s’était fait attendre quelque peu. Professeur au Conservatoire, chef d’orchestre de la Société des concerts, il était, avec son abord que la timidité rendait d’apparence un peu froide, plein de chaleur de cœur et accessible à tous les enthousiasmes, et je me rappelle l’appui très efficace et plein de désintéressement qu’il me donna, à moi qui jadis avait été un peu son élève, lorsque je m’occupai, pendant près de dix ans, de l’érection à Givet de la statue de Méhul, que nous avons pu enfin inaugurer en 1892.

Garcin, qui appartenait à une famille de comédiens de province, la famille des Garcin et des Chéri (il était le cousin de Rose Chéri, morte si jeune, de Victor Chéri, qui s’est pendu il y a quelques années, et de la pauvre Anna Chéri, Mme Lesueur, qui est folle depuis quinze ans), était né à Bourges le 11 juillet 1830. Après avoir obtenu au Conservatoire un second et un premier prix de solfège, il devint un des plus brillants élèves d’Alard et se vit décerner un accessit de violon en 1848, le second prix en 1851 et le premier prix en 1853. Il fut aussi élève de Bazin pour l’harmonie et d’Adolphe Adam pour la composition. Violoniste fort distingué, il entra par concours à l’orchestre de l’Opéra, où il devint plus tard violon-solo et troisième chef, et il fit entendre, dans une séance de la Société des concerts, un concerto de sa composition, qui était une œuvre vraiment remarquable. Il dut cependant renoncer d’assez bonne heure à se produire en public, parce qu’il était atteint de cette petite infirmité qu’on appelle la crampe des violonistes. Cela, toutefois, ne pouvait l’empêcher de faire de bons élèves, et il l’a prouvé dans la classe dont il avait été nommé titulaire en 1875. Lors de la retraite de M. Deldevez, il prit sa succession comme premier chef d’orchestre de la Société des concerts, dont il sut maintenir fidèlement les brillantes traditions. Il dut se retirer lui-même il y a deux ans, atteint déjà de la maladie qui lui causait une sorte de tremblement convulsif et qui lui enlevait toute confiance en lui-même. Il est mort le 10 de ce mois, en pleine connaissance de lui-même, en quelque sorte épuisé par un mal implacable. Huit jours auparavant, il écrivait les dédicaces de quatre morceaux qu’il venait de publier. L’assistance nombreuse et recueillie qui s’est rendue à ses funérailles a donné la mesure des regrets que l’excellent Garcin a laissé derrière lui.

Au cimetière, M. Théodore Dubois, directeur du Conservatoire, a prononcé une allocution touchante, et a rappelé en termes émus les services que Garcin avait rendus, comme professeur, à l’école dont il avait été l’un des plus brillants élèves. « Si je parle, a dit M. Dubois, de celui que nous pleurons comme professeur, il me suffira de rappeler les succès que ses élèves ont constamment obtenus aux concours, et l’amour qu’ils avaient pour leur maître. Il était bon, dévoué et passionné pour sa classe. Pendant plus de vingt ans, il a donné à son enseignement du Conservatoire le meilleur de sa vie, de son activité, de son intelligence, malgré les cruelles souffrances qu’il ressentait depuis plusieurs années déjà et qu’il supportait avec une résignation touchante ». L’hommage était légitime, et il n’aurait pu être rendu mieux et avec plus d’autorité que ne l’a fait M. Théodore Dubois.

A. P.

— Nous avons le regret d’annoncer aussi la mort d’une femme charmante, qui jouit pendant vingt ans de toute la sympathie du public parisien, Mme Gaveaux-Sabatier, bien connue naguère, à l’époque de la grande vogue de la romance, comme interprète aimable et élégante des chants gracieux de Masini, de Paul Henrion, d’Étienne Arnaud, de Mme Loïsa Puget, de Mme Victoria Arago. Mme Gaveaux-Sabatier, la grâce en personne, donnait, par son exécution intelligente et fine, à ces petits poèmes une saveur particulière, et contribuait très efficacement aux succès qu’ils obtenaient dans le monde et dans les concerts. Depuis longtemps cette femme aimable avait fait ses adieux au public et s’était consacrée à l’enseignement d’un art qu’elle connaissait bien pour l’avoir bien pratiqué. Elle est morte âgée de 76 ans.

— On annonce la mort de Johan G. Conradi, musicien norwégien qui s’est éteint à Christiania à l’âge de 76 ans. Il a composé plusieurs mélodies, de la musique de scène pour plusieurs drames, et a aussi publié une notice historique sur la musique et les musiciens de la Norwège.


Henri Heugel, directeur-gérant.

CONCERTS LAMOUREUX
(cirque d’été)
DIMANCHE 18 OCTOBRE 1896

CÉSAR FRANCK
Rédemption
Morceau symphonique.

Partition d’orchestre, prix net : 10 fr. — Parties séparées d’orchestre, prix net : 20 fr.
Chaque partie supplémentaire, prix net 1 fr. 50.

Partition piano et chant, complète, prix net : 10 francs.
Fragment symphonique, transcrit pour deux pianos, 4 mains, prix net : 6 fr.

imprimerie centrale des chemins de fer. — imprimerie chaix, rue bergère, 20, paris. (Encre Lorilleux)