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LE MÉNESTREL

était arrivé un peu tard, et on l’avait fait attendre dans un endroit où une paroi en bois, qui n’allait pas jusqu’au plafond de la salle, le séparait de celle-ci. Tout en attendant la fin du morceau en exécution, Wagner remarquait que l’effet de l’orchestre invisible pour lui était splendide, et que le son avait une unité, un fondu qu’il ne possédait pas quand on entendait cet orchestre dans la salle même. C’est dans ce moment que Wagner se proposa d’arriver un jour à un effet pareil, et qu’il conçut l’idée de construire un théâtre où il pourrait réaliser cette réforme de l’orchestre.

— On se moque de la statuomanie qui sévit actuellement en France ; mais il paraît qu’en Allemagne on n’est pas moins disposé à statufier les célébrités locales. Il est même arrivé dernièrement qu’on a érigé à Ruhla un monument au compositeur peu connu Lux, dans la supposition qu’il était l’auteur d’une mélodie populaire de Thuringe : Ah ! comment est-ce possible alors !… Un monument pour une seule mélodie, c’était déjà beaucoup. Mais voici qu’on vient d’apprendre que la mélodie en question a pour auteur le célèbre compositeur Kücken. Que va-t-on faire de la statue de Lux, qui devient vraiment luxueuse ?

— Depuis le 1er octobre le théâtre du peuple, à Munich, donne des représentations d’opéra populaire. Les prix des places sont tellement insignifiants que même les ouvriers peuvent devenir des habitués de l’Opéra. Le répertoire laisse encore à désirer — on n’a trouvé rien de mieux jusqu’ici que des vieilleries italiennes telles que Lucie de Lammermoor et Norma — mais la distribution est assez bonne et l’orchestre convenable.

— Un opéra inédit intitulé Mataswintha, paroles imitées de Félix Dahn, musique de M. Xavier Scharwenka, a été joué avec succès au théâtre grand-ducal de Weimar.

— Explications complémentaires au sujet de notre note de dimanche dernier sur le manuscrit inconnu de Wagner découvert à Zurich : M. Hegar, le chef d’orchestre de cette ville, avait, en 1878, organisé une fête musicale à l’occasion du vingt-cinquième anniversaire des trois grands concerts, que le maître donna jadis en cette ville, et Wagner lui avait fait adresser par son éditeur de Paris, un certain nombre de parties d’orchestre manuscrites. Au revers de ces feuilles, se trouvaient des fragments musicaux écrits de la main même de Wagner. M. Hegar n’y avait pas d’abord attaché grande importance ; il s’est avisé cette année de les examiner et il est arrivé à reconstituer toute une œuvre symphonique qui porte ce titre : Deuxième ouverture de concert, et dont l’instrumentation n’est pas complètement achevée. On avait tout d’abord espéré qu’il s’agissait d’une des neuf compositions que Wagner, antérieurement à Rienzi, a écrites sur le Faust de Goethe, et dont six seulement figurent dans les archives de Bayreuth. Vérification faite, le manuscrit retrouvé n’est pas inédit : c’est l’esquisse de l’ouverture en sol majeur qui fut jouée en 1832, à Leipzig, en 1873, à Bayreuth et en 1877 à Berlin.

— De Varsovie, première dépêche : « Enthousiasme Lakmé, Regin a Pacini, protagoniste admirable. A du bisser deux morceaux entre ovations et fleurs. » Deuxième dépêche : «  Grand succès Mignon. Protagoniste Monti-Baldini. Plusieurs bis, ovations infinies. »

— Un opéra nouveau intitulé Parmi les Cosaques, musique de M. Elling, vient d’être joué avec beaucoup de succès au théâtre de Christiania.

PARIS ET DÉPARTEMENTS

Le ministre de l’instruction publique et des beaux-arts a réuni, lundi dernier, pour la première fois, le conseil supérieur d’enseignement du Conservatoire, récemment institué. Il a rappelé le but de cette organisation nouvelle, comparant le conseil nouveau — toutes proportions gardées — au conseil supérieur de l’instruction publique. M. Henry Roujon, directeur des beaux-arts, a ajouté quelques mots pour exposer le but de la première réunion. Le conseil supérieur a alors procédé à une élection pour désigner à l’agrément du ministre un professeur de déclamation en remplacement de M. Delaunay, qui a pris sa retraite. Sur 12 membres qui composent le conseil, 11 ont pris part au vote (M. Jules Lemaître était absent). M. Le Bargy, au premier tour, a réuni 10 voix et M. Purd’hon 1. Ce dernier avait d’ailleurs retiré depuis quelques jours sa candidature. Comme, aux termes du décret ministériel, le conseil doit désigner au choix du ministre deux candidats au moins, trois au plus, on a procédé à deux autres scrutins. Au deuxième scrutin — pour le second rang — M. Baillet a eu 7 voix, M. Saint-Germain, 3 voix, M. Prud’hon 1 voix. Puis, par six voix sur onze, le conseil a décidé qu’il n’y avait pas lieu de désigner un troisième candidat. Quatre voix sont allées à M. Prud’hon et une à Mme Favart.

Deux jours après, mercredi, avait lieu une nouvelle réunion du conseil, présidée cette fois par M. Roujon, directeur des beaux-arts, pour procéder aux choix des candidats à proposer aux ministre en vue des vacances qui se sont produites dans diverses classes musicales du Conservatoire. Par suite d’erreur dans les convocations, plusieurs membres de ce conseil, M. Camille Saint-Saëns, entre autres, se sont rendus directement au Conservatoire, rue du Faubourg-Poissonnière, alors que le lieu de réunion était rue de Valois, qu’ils ont dû gagner fort désappointés. La séance s’est donc trouvée retardée de quelques minutes, par suite de l’absence des retardataires. Étaient présents : MM. Roujon, président, Des Chapelles, Ernest Reyer, Massenet, Camille Saint-Saëns, Théodore Dubois, Paladilhe, Lenepveu, Ch.-M. Widor, Victorin Joncières, Jules Delsart, Taffanel, Alphonse Duvernoy, Émile Réty et Saint-Yves-Bax. La séance s’est prolongée jusqu’à près de quatre heures et demie et n’a pas laissé que d’être laborieuse. Ont été proposés au choix du ministre :

Classe de composition. — Chaire vacante par suite de la démission de M. Théodore Dubois, nommé directeur du Conservatoire :

En première ligne, M. Ch.-M. Widor.

En seconde ligne, ex aequo, et par ordre alphabétique, MM. Henri Maréchal et Samuel Rousseau.

Classe de composition. — Chaire vacante par suite de la démission de M. Massenet :

En première ligne, ex aequo et par ordre alphabétique, MM. Gabriel Fauré et Charles Lefebvre.

En seconde ligne, M. Paul Vidal.

Classe d’accompagnement. — Chaire vacante par suite du décès de M. Delahaye :

En première ligne, M. Paul Vidal.

En seconde ligne, ex aequo et par ordre alphabétique, MM. Gabriel Pierné et Piffaretti.

Classe de violon. — Chaire vacante par suite du décès de M. Garcin :

En première ligne, M. Rémy.

En seconde ligne, M. Desjardins.

En troisième ligne, M. Hayot.

Classe de solfège pour les chanteurs. — En première ligne, M. de Martini.

En seconde ligne, ex aequo, MM. Auzende et Cuinache.

On sait que pour la nomination des professeurs aux chaires vacantes, le ministre n’est nullement tenu de nommer le premier des candidats présentés. Il peut indistinctement choisir dans la liste qui lui est offerte, sans s’en référer à l’ordre hiérarchique créé par les élections.

— L’Académie des beaux-arts, dans sa dernière séance, a décidé que le prix Estrade-Delcros, de la valeur de 8.000 francs, qui ne devra, en aucun cas, être partagé, aura pour objet de récompenser une œuvre appartenant soit aux arts du dessin (peinture, sculpture, architecture, gravure en taille-douce, gravure en médailles), soit à l’art de la composition musicale. Cette œuvre devra avoir été produite dans les cinq dernières années et jugée par l’Académie particulièrement digne d’être signalée au public. Le prix Estrade-Delcros sera décerné pour la première fois en 1899 et ne pourra être attribué qu’à un artiste « français » et n’appartenant pas à l’Académie des beaux-arts. Le comte Henri Delaborde, secrétaire perpétuel, a ensuite donné communication à ses confrères de la très intéressante notice sur la vie et les œuvres d’Ambroise Thomas qu’il se propose de lire à la séance publique annuelle de l’Académie des beaux-arts. Cette séance aura lieu, comme nous l’avons déjà annoncé, le samedi 31 octobre prochain.

— Un décret autorise l’Association des artistes dramatiques à accepter le legs universel qui lui a été fait par Mlle Pilloy dite Alice Ozi, ancienne artiste des Variétés, réserve faite des legs particuliers énumérés ci-dessous. Les arrérages seront exclusivement employés, suivant un règlement spécial qui sera ultérieurement arrêté et au nom de Mlle Alice Ozi, à donner aux fils orphelins des artistes dramatiques et musiciens faisant partie de l’Association, et principalement aux orphelins nés dans les départements de la Seine et de Seine-et-Oise, état, éducation, secours, jusqu’à ce qu’ils soient en mesure de se suffire. En outre, sont approuvés plusieurs legs faits par Mlle Alice Ozi, entre autres 50.000 francs à l’Association des Artistes musiciens et 10.000 francs à l’Orphelinat des arts.

— Pour l’inauguration du monument au grand peintre Antoine Watteau, qui va avoir lieu dans le jardin du Luxembourg, M. Gustave Charpentier vient d’écrire une cantate qui sera exécutée en même temps que sera dit un poème de M. Émile Blémont en l’honneur du maître à qui l’on doit tant d’œuvres exquises.

— Le monument élevé à la mémoire de Gustave Nadaud a été inauguré dimanche dernier à Roubaix. Ce monument se trouve à l’entrée du jardin Barbieux. Il se compose d’une stèle ou pyramide quadrangulaire tronquée, qui est surmontée du buste de Nadaud en marbre blanc. En avant, deux pilastres supportant des figures allégoriques sont reliés au pylône par une sorte de balustrade pleine en hémicycle. Dans cette balustrade, comme dans le socle, sont incrustés des bas-reliefs en bronze. Enfin, sur la face interne de la stèle, une Renommée, également en bronze, les ailes éployées, prend son essor pour offrir au chansonnier sa fleur préférée, la rose. C’est la rose d’ailleurs qui domine dans l’ornementation du monument, du style Louis xvi. C’est M. Cordonnier, sculpteur lillois, qui a modelé le buste de Nadaud, ainsi que les bas-reliefs et les motifs principaux. Les détails de l’ornementation ont été exécutés sous la direction de M. Poulain. Le chapiteau du pylône est formé par des attributs de la musique. À la base de la pyramide, l’inscription « À Nadaud » est gravée en lettres d’or au-dessous d’une lyre qui sert de point d’appui à la Renommée. Sur la face extérieure, un charmant motif, le Nid abandonné, surmonté d’une partition de musique, a été sculpté dans la pierre. L’architecte de ce monument est un Roubaisien, M. Lefebvre.

— Jeudi dernier, à l’Opéra, on a répété pour la première fois, à l’orchestre le Don Juan, de Mozart, dont la reprise est officiellement fixée au lundi 20 octobre. Tous les artistes étaient présents, même les artistes à qui les rôles ont été distribués en double. Cette première répétition, avec tous les chœurs et la danse, a très bien marché.

— À l’Opéra-Comique, pour le même Don Juan, on ne travaille pas moins chaleureusement, bien qu’on ne soit pas encore fixé exactement sur la distribution