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LE MÉNESTREL

ticuliers. Il y a vraiment une profonde et très dolente mélancolie dans l’âme de ce peuple qui vit dans une nature froide et triste.

La compagnie d’Agreneff compte quelques voix de basses d’une étendue exceptionnelle, comme nous n’en possédons pas en France. Il y a là des gaillards qui font ronfler comme des pédales d’orgue des et des ut au-dessous des lignes.

En lisant ces volumes de Mélodies, que leurs auteurs ont enflés de rognures de leurs autres œuvres, sur lesquelles on a rajusté une poésie quelconque, je songe à ces boîtes de jouets que le marchand grossit et tasse avec des morceaux de papier.

De l’influence des milieux sur l’effet. — Cet été, me trouvant dans le Tyrol, j’allai, le 15 août, entendre la messe dans un petit village près Toblach, perdu dans la montagne. Comme c’était la fête de l’endroit, l’unique nef était comble ; les fidèles, accourus de tous les environs, débordaient au dehors, les hommes en veste de drap, avec le chapeau orné de fleurs ou de plumes, les femmes avec le corsage bariolé, le petit chapeau rond, la jupe de couleur sombre, ample, courte et ballante. Jusque dans l’humble cimetière qui entoure l’église, tous demeuraient debout en des attitudes recueillies, priant au milieu des tombes, sous le grand ciel ensoleillé.

Il y avait messe en musique ; un chœur rustique, un orchestre où se coudoyaient sans doute le bourrelier, le forgeron, le maître d’école, le boulanger, l’aubergiste, que sais-je ? — l’orgue, un violon, un violoncelle, une contrebasse, une flûte, un cor, un cornet à piston et des timbales.

La composition, due peut-être à quelque obscur Kapellmeister, mort ignoré dans son hameau, était de la plus naïve simplicité, l’organiste peu exercé ; les instruments à cordes n’étaient pas toujours très justes, non plus que les voix d’enfants et de paysans adultes qui complétaient l’ensemble. La flûte seule, avait, avec un peu d’expérience, un certain velouté ; le cor tentait timidement quelques sons ouverts, et les timbales, soutenues par la trompette, produisaient leurs roulements avec une bruyante satisfaction, toutes les fois que le texte liturgique comportait des accents de triomphe.

Certes cet ensemble n’était pas pour séduire une oreille exercée.

Pourtant le lieu était si magnifiquement pittoresque, la foi de ces robustes montagnards si manifeste sur leurs francs visages, l’effort de ces artistes d’occasion si convaincu, que de ces supplications et de ces hosannas se dégageait je ne sais quoi de vibrant dont l’impression était irrésistible.

Ah ! la sincérité dans l’art ! j’ai entendu souvent, à Paris et ailleurs, de superbes pages de musique religieuse supérieurement interprétées ; je n’en ai jamais entendu qui m’aient plus profondément touchée que la modeste messe en musique de Aufkirchen.

Wormser écrit l’Enfant prodigue, Widor Jeanne d’Arc. — Après la pantomime, l’art équestre. — Il y a là un signe des temps ; la musique marche vers des voies nouvelles. — Il n’y a pas d’art plus merveilleusement souple, et dont l’emploi puisse être plus varié !

Il y aurait une bien intéressante étude à faire sur les œuvres de valeur qui n’ont point réussi au théâtre. On commencerait par les plus puissantes….. Euryanthe, par exemple, la magique Euryanthe ! — Et on raconterait tout ce qu’ont de charme, d’esprit, de grâce, de douce émotion, certaines pages de ces opéras oubliés ou inconnus….. Les Saisons de Massé, fraîche églogue qui devança Mireille, Valentine d’Aubigny, d’Halévy, la Petite Fadette de Semet, Erostrate de Reyer, Djamileh de Bizet, Pedro de Zalamea de Godard….. et tant d’autres dans le présent et dans le passé, dont je n’oserais presque, par respect humain, évoquer les noms ! — Pauvres fleurs fanées, dont bien peu ont respiré la pénétrante odeur.

Assisté à une représentation de Fra Diavolo, au théâtre de l’Argentina, à Rome. Je pense, — comme jadis à Munich, après le Domino noir, et à Paris, après Lohengrin, — qu’il faut entendre la musique italienne rendue par des Italiens, la musique française par des Français, et la musique allemande par des Allemands. Dans le cas contraire, il en est de l’interprétation comme du poème ; c’est une traduction.

(À suivre.)

A. Montaux.

NOUVELLES DIVERSES


ÉTRANGER

De notre correspondant de Belgique (20 août). — On a rarement fait autant de musique — et de bonne musique, — pendant l’été, dans nos deux grandes « cités balnéaires », Ostende et Blankenberghe, que cette année. Musique de concert, exclusivement, les théâtres, peu importants, y étant voués exclusivement au vaudeville et à l’opérette. Après les grandes solennités que je vous ai signalées précédemment, le Kursaal d’Ostende en a eu d’autres encore, non moins attractives, en ce mois d’août qui est l’époque privilégiée des fêtes select ; plusieurs artistes de premier ordre y ont défilé devant le public, justement enthousiaste ; et, parmi eux, M. Van Dyck et Mlle Gabrielle Lejeune, ont été les plus acclamés, comme je le prévoyais l’autre jour. M. Van Dyck à Ostende, c’était tout un événement ! L’admirable ténor a chanté l’air de Joseph de Méhul, le « preislied » des Maîtres Chanteurs et le chant d’amour de Siegmund, de la Valkyrie ; les ovations qu’on lui a faites ont été, à peu de chose près, interminables, après l’air de Joseph, on l’a rappelé six fois, et le reste à l’avenant ; à la fin ne sachant comment satisfaire l’enthousiasme de l’auditoire, il a eu une idée géniale : il a redit en allemand le chant de Siegmund qu’il avait dit la première fois en français : alors, ç’a été du délire ! On en parlera longtemps sur la plage. L’accueil fait, la semaine suivante, à Mlle Lejeune n’a pas été moins chaleureux. Comme M. Van Dyck, Mlle Gabrielle Lejeune est Belge ; mais si le patriotisme a été pour quelque chose dans le succès fait aux deux artistes par le public cosmopolite d’Ostende, il n’y a eu qu’une part minime, le mérite a fait le principal. Mlle Lejeune a chanté deux fois, et deux fois elle a triomphé par le charme de sa personne et de son talent. Depuis son départ de la Monnaie, où elle a passé deux ans, elle n’avait plus guère paru en public : à la veille de débuter à l’Opéra-Comique, cette réapparition avait un intérêt particulier. Nous l’avons retrouvée avec sa voix pénétrante, son sentiment si personnel, ses qualités faites tout ensemble de grâce et d’émotion, qui en avaient fait à la Monnaie une des plus captivantes interprètes du rôle de Charlotte de Werther, et qu’elle a appliquées ici dans l’interprétation de deux airs de caractère pourtant bien différent, celui de la Traviata et celui du Freischütz. Son succès n’a pas été moins vif dans diverses mélodies, détaillées par elle d’une façon exquise : le Nil et Floraison de Leroux, Pensée d’automne et la gavotte de Manon de Massenet, Dansez marquise de Lemaire, et la Sérénade inutile de Brahms ; bis et rappels semblaient ne point vouloir prendre fin. Voilà qui est de bon augure pour l’entrée prochaine de Mlle Gabrielle Lejeune à l’Opéra-Comique.

— À Spa, également, la musique bat son plein et, parmi les derniers concerts au Kursaal, il faut signaler tout particulièrement celui de M. Isnardon, qui a été couvert d’applaudissements après le Poète et le Fantôme, de Massenet, les stances de Lakmé, et le trio de Faust chanté avec Mlle Adams et M. Affre. Quelques jours après M. Isnardon triomphait encore, dans la salle du Pouhon où est installée l’Exposition de Poupées. Dans un programme très spécialement et curieusement composé, l’excellent artiste a chanté les Sabots et les Toupies, les Polichinelles et le Dernier Joujou, de Cl. Blanc et L. Dauphin. À côté de lui, on a fêté aussi Mlle de Ter dans les Enfants de Massenet.

— Un opéra inédit en un acte Razzia, musique de M. Van Damme, a été joué avec succès à Gand.

— Une erreur d’impression nous a fait dire, dans notre dernier numéro, que Mlle Sibyl Sanderson avait signé un engagement avec l’Opéra Impérial de Vienne. C’est l’Opéra Impérial de Saint-Pétersbourg qu’il faut lire, et ce sont les Russes qui auront la primeur d’Esclarmonde, avec la créatrice dans le rôle de la protagoniste. M. Van Dyck a été également engagé pour une série de représentation, au cours desquelles il chantera, entre autres ouvrages, Manon et Werther.

— La saison du Théâtre-Lyrique à Milan ouvrira vers le milieu de septembre avec les représentations de Mme Nevada dans Lakmé ; puis viendront celles de Mme de Nuovina avec la Navarraise et celles de Mlle Simonnet dans Mignon. Plus tard Mlle Sanderson dans Manon et Phryné. On voit que, comme toujours, M. Sonzogno fait large part au répertoire français. On devrait bien lui rendre un peu la pareille à Paris pour ses opéras italiens. Mais il paraît que c’est impossible ! Tout prendre et ne rien donner, c’est une devise commode, mais pas très morale en soi.

— Un nouvel opéra intitulé Marietta, musique de M. G. Buceri a subi un échec à sa première représentation au théâtre Bellini, de Palerme.

— On annonce que la Bohême de Leoncavallo sera joué pour la première fois à la Scala de Milan qui jouera aussi le nouvel opéra japonais de Mascagni. L’Argentina de Rome jouera pour la première fois, Camargo de M. de Leve et le théâtre San-Carlo de Naples produira pour la première fois Pourceaugnac de M. Franchetti.

— Le ministre de l’instruction publique à Berlin a ordonné la construction d’un nouveau monument pour le Conservatoire de musique et a ouvert à cet effet un concours. Nous connaissons plus d’un conservatoire de musique, à commencer par celui de Paris, qui aurait grandement besoin d’un nouvel abri.